«Les adolescents sont en dissociation totale avec ce qui se passe dans l'industrie de la musique locale», déplore Franz Schuller, patron d'Indica, label des Trois Accords, des Vulgaires Machins et de Caracol, qui lance une filiale destinée aux jeunes, baptisée 888, dans le but de les intéresser ou plutôt de les raccrocher à la musique francophone.

Membre de Grimskunk, Franz Schuller a mené un sondage dans les écoles et a constaté que les adolescents connaissaient peu d'artistes francophones, mis à part Marie-Mai et William Deslauriers. «On leur demandait de nommer dix artistes francophones et ils n'en étaient pas capables, se désole-t-il. Même pas Malajube, Vincent Vallières ou les Cowboys fringants. En tant que société culturelle un peu à gauche, c'est un méga échec! Pratiquement tout ce qui se fait est pour les 20 ans et plus. On ne touche pas du tout aux moins de 18 ans.»

Franz Schuller cite néanmoins l'initiative du diffuseur Scène 1425, piloté par le programmateur Julien Aidelbaum et la Corporation de la salle André-Mathieu, qui fait découvrir aux jeunes de la banlieue et des régions des artistes de la scène émergente d'ici et d'ailleurs.

Avec 888, son label, Disques Indica, veut créer des liens «entre les jeunes qui font et qui écoutent de la musique». Franz Schuller a été juge dans un concours amateur de musique et il a vu que la relève était là. Le hic, c'est que les jeunes groupes n'ont pas de scène. «C'est comme si tu avais plein d'ados en banlieue qui font du skate-board, mais qu'il n'y avait pas de skatepark, illustre-t-il. Dans mon temps, il y avait la scène punk, la vague alterno, des mouvements avec plusieurs groupes.»

La première recrue de 888 est le groupe Kamakazi. Son album Rien à cacher, réalisé par Gus Van Go, sort aujourd'hui. «C'est accrocheur, c'est jeune et c'est en français, se réjouit Franz Schuller. Il y a un côté pop et bon enfant, mais avec une crédibilité rock.»

Franz Schuller veut que les jeunes écoutent la musique francophone faite par d'autres jeunes Québécois. Pas des trucs qui plaisent surtout aux 20 à 30 ans. «La maladie du cool a saisi l'industrie de la musique à Montréal depuis cinq ans. Il faut sortir des trucs qui sont cool. Et à l'autre extrême, tu as de la musique pop-dance poche», regrette Franz Schuller.

Étude à l'appui

Le patron d'Indica n'est pas le seul à observer que les jeunes francophones préfèrent la musique en anglais. Aux plus récentes FrancoFolies, le programmateur Laurent Saulnier était heureux de voir des jeunes affluer au centre-ville pour les spectacles de Marie-Mai et Mixmania. «Je suis tellement content d'avoir vu une foule de jeunes comme ça. Règle générale, c'est un public qu'on ne rejoint pas, car il y a peu de musique francophone pour eux», avait-il déclaré.

Pascal Allard, l'auteur des chansons de Mixmania, a également constaté l'omniprésence de l'anglais dans le répertoire des chansons écoutées par les jeunes. «Au moment des auditions a capella, seulement deux candidats (sur 250) ont choisi de chanter en français, a dit le parolier à La Presse lors des FrancoFolies. C'est épeurant. C'est la génération de jeunes qui est la plus anglicisée. Quand j'étais adolescent, nous écoutions Vilain Pingouin, Les Parfaits Salauds, Les BB, Mitsou, Kathleen.»

Parue en janvier dernier, une enquête sur les habitudes de consommation culturelle de la population menée par la firme Léger Marketing pour l'Association d'études canadiennes (AEC) confirme que les jeunes francophones du Québec écoutent massivement les Lady Gaga, Katy Perry et Rihanna plutôt que de la musique francophone. Un sondage auquel ont participé plus de 1000 personnes a révélé que 75% des francophones du Québec âgés de 18 à 24 ans affirment consommer davantage de musique en anglais qu'en français, alors que le pourcentage est seulement de 20% chez les répondants de plus de 65 ans. «Ce qui m'a frappé le plus, c'est le fossé générationnel», indique Jack Jedwab, directeur de l'AEC.

Selon le chercheur, l'industrie de la musique doit s'interroger sur plusieurs questions. Est-ce que la consommation de musique anglophone a toujours été plus forte chez les jeunes ou est-ce une tendance qui s'appliquera bientôt à tous les groupes d'âge? Est-ce que la popularité des genres musicaux à prédominance anglophone comme le rap et la techno nuit à la visibilité des artistes francophones?»

Avec les ondes difficiles d'accès des radios commerciales, et l'écoute de la musique qui se fait de plus en plus sur Internet et YouTube, Franz Schuller ajoute que le vécu collectif par la musique est moins fort que pour les générations précédentes. «Avant, on attendait que les albums sortent et on les écoutait en gang.»

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EN RAFALE

The Devil Wears Prada sera en spectacle au Métropolis de Montréal le 15 décembre (billets en vente lundi).

Chris Cornell a écrit une ballade folk-rock intitulée The Keeper pour le film Machine Gun Preacher (sortie: 23 septembre). La pièce est en vente en format digital dès aujourd'hui.

Erykah Badu travaille sur un projet musical avec Gorillaz, a-t-elle dit au Wall Street Journal.

SUGGESTION DE LA SEMAINE

Caveman

«La trame sonore rêveuse d'un film d'horreur». C'est ainsi que le chanteur de Caveman décrit la musique de son groupe établi à Brooklyn. Il est vrai qu'il y a une tension dans les mélodies, avec des harmonies vocales et des arrangements galopants qui donnent une tournure accrocheuse à l'ensemble. Un premier album intitulé CoCo Beware devrait paraître cet automne. À écouter si vous êtes curieux d'entendre une sorte de rencontre musicale entre The Beach Boys et Grizzly Bear, www.myspace.com/thiscaveman

SORTIES DE LA SEMAINE

Rien à cacher, Kamakazi

Le Maréographe, Clément Jacques

Quand j'ai dit, Gregory Charles

Un monde irréel, Simon Boudreau

I'm With You, Red Hot Chilli Peppers

Terrible Angels, Charlotte Gainsbourg

Black And White America, Lenny Kravitz

Tha Carter IV, Lil Wayne

CSS, La Liberacion

The Rip Tide, Beirut

Coastal Grooves, Blood Orange