À 82 ans, bientôt 83, Gilles Vigneault ne ralentit pas. Il lance cette semaine un deuxième album de duos en autant d'années et s'apprête à remonter sur scène en formule piano-voix au Gesù, là même où il a donné son tout premier spectacle montréalais il y a un demi-siècle. Avec des chansons de toutes les époques, au propos moderne.

«Que ça fasse 50 ans ou pas, c'est anecdotique. On fait ça pour le sourire. Mais c'est une anecdote que tout le monde ne s'offre pas évidemment. C'est une question de santé, de chance, de durée aussi.»

Dans l'ancien restaurant de Saint-Placide qui lui sert à la fois de bureau et de local de répétition, Gilles Vigneault parle d'abondance de son nouvel album Retrouvailles 2 et de son retour au Gesù le 5 octobre, 50 ans jour pour jour après son tout premier spectacle montréalais au même endroit. L'homme a fière allure et une énergie qui ne cesse d'étonner. Cet automne, qui s'annonce chargé, il s'apprête à le prendre à bras-le-corps.

Pour lui, tout se tient: les nouveaux duos qu'il a enregistrés avec 14 interprètes québécois et le spectacle Vivre debout, en duo avec le pianiste Daniel Thouin, un musicien polyvalent «venu du jazz» qui prend la relève des complices essentiels «passés de l'autre côté de la frontière» qui l'ont accompagné depuis ses débuts: Gaston Rochon, Robert Bibeau et Bruno Fecteau.

«Ce sera un spectacle de retrouvailles aussi, une nouvelle manière de reprendre, de redire et de retrouver ces chansons-là, fait-il remarquer. Par exemple, je vais chercher Gros Pierre parce que c'est un personnage qui a beaucoup marqué mes chansons et qui a marqué, si j'ose dire, le public. Ce sera donc Gros Pierre, mais Gros Pierre avec l'espèce d'incertitude, de précarité d'un piano seul ou de quelques notes d'harmonium. Je vais retrouver cette chanson-là comme je l'aurais jouée à mes parents sur l'harmonium de ma famille.»

Daniel Thouin a travaillé pour la première fois avec Vigneault sur les plaines d'Abraham l'an dernier avant de s'intégrer à son groupe pour les derniers spectacles de sa tournée précédente. L'idée du spectacle piano-voix, elle est de lui.

«Au départ, ça m'a fait peur, mais il m'a convaincu, reconnaît Vigneault. Il avait un propos qui m'a beaucoup intéressé. Il ne l'a pas dit comme ça, mais ça voulait dire revenir à l'essentiel. Et pour moi, revenir à l'essentiel, ça me plaît assez bien à 82 ans, 83 en octobre. Revenir à l'essentiel, c'était beaucoup revenir au Gesù, à l'essentiel des premiers temps où j'y ai goûté. On avait monté le spectacle avec Roger Fournier et Jean Bissonnette pour le 5 octobre 1961 et ç'a tellement bien marché qu'on a décidé de le répéter la semaine suivante au pied levé. Ç'a été mon premier récital solo à Montréal, avec Gaston (Rochon) et ses musiciens. En 1962, on a donné deux spectacles au Plateau, l'année suivante, trois soirs à la Comédie-Canadienne (le TNM actuel) et l'année d'après, j'ai fait une semaine. Puis deux, puis trois...»

Des chansons utiles

Pour ce nouveau spectacle, Vigneault a choisi avec le peintre Claude Fleury, son ami de toujours, des chansons de toutes les époques dans son vaste répertoire. «Il y a six chansons de personnages, des chansons d'amour et celles qu'on appelle des chansons de pays, et puis trois chansons nouvelles. Les chansons retenues sont utiles au propos d'aujourd'hui. Aujourd'hui, j'ai le goût de dire ce que Zidor (le prospecteur de la chanson des années 60 qu'il reprend sur son nouvel album avec Fred Fortin) aurait dit: avec un Plan Nord, il faut se hausser sur la pointe des pieds et regarder derrière, voir si le Sud n'est pas là. C'est intéressant de mettre ça à côté de Fer et titane, par exemple: «Pis regarde-moi bien dans les yeux, tout ce monde à rendre heureux. Nous avons la promesse du plus brillant avenir.» Oui, pour les compagnies minières! J'ai besoin d'une chanson comme Fer et titane pour dire ce que j'ai à dire aujourd'hui. C'est en cela que le spectacle est moderne.»

Ce spectacle intime pose évidemment un défi supplémentaire au chanteur. «Je ne me prends pas pour Tony Bennett, tout le monde sait ça, je pense, et moi en particulier, reconnaît Vigneault. Mais sans se prendre pour un grand chanteur, on peut se prendre pour qui on est et faire avec ce qu'on a, avec son métier, son expérience et son goût de le faire. Si ça m'ennuyait ce spectacle-là, ça serait déjà annulé.»

De nouveaux secrets

C'est également à Daniel Thouin que Vigneault a confié la réalisation de son album Retrouvailles 2. «C'est son choix de musiciens, son choix d'arrangements, sa vision de la réalisation d'un disque et on pense qu'il a bien réussi, on est très contents, dit le chanteur. Dan a donné une pulsion, une espèce de houle, de vague lente, mais qui se répète et qu'on retrouve dans presque chaque chanson: un mouvement de calme.»

Dans cet album moins disparate que celui paru l'an dernier où Vigneault s'invitait chez ses amis européens et québécois avec des arrangements qui prenaient les couleurs de ses hôtes - «J'étais d'accord avec ça», rappelle le principal intéressé -, il a découvert, comme il l'écrit dans le livret, de «nouveaux secrets» de ses propres chansons, des classiques aux moins connues, dans la bouche d'interprètes aussi différents que Clémence DesRochers, Pierre Flynn, Fred Pellerin ou Marc Hervieux.

«Depuis toujours, quand j'entendais Pauline Julien, Monique Leyrac, Catherine Sauvage, Renée Claude ou Louise Forestier chanter une de mes chansons, je retrouvais la chanson un peu comme un spectateur inconnu qui ne l'a pas écrite, dit-il. Alors c'est un disque de retrouvailles pour vrai. C'est d'abord se retrouver soi-même, toujours.»

La plupart des artistes invités se sont fait proposer trois chansons, raconte Vigneault: «Piché et Richard (Séguin) voulaient tous les deux chanter J'ai planté un chêne. Comme Richard avait déjà sa conception de la chanson, un peu à la Bach, avec 12 guitares (de l'ensemble Forestare), Paul la lui a laissée. Je lui ai dit qu'il pouvait en choisir une autre, il en restait 200! Il a dit Gens du pays, puis a décidé d'en choisir une autre. Il trouvait ça intimidant. C'est le contraire: dès la première chanson, Paul nous fait l'antichambre du disque, il dit ça va se passer doucement. Et comme par hasard, ça se termine avec la belle, la magnifique voix de Daniel Lavoie qui chante Il me reste un pays. Un jour, il m'a raconté que quand il est parti de son village, au Manitoba, il y avait 70% de personnes qui parlaient français et quand il est revenu, des années après, il y en avait 30%. Lavoie qui dit «il me reste un pays à comprendre, il me reste un pays à changer», ça n'est pas insignifiant.»

Vigneault a donné à chacun des invités sa version de la chanson en l'invitant à intervenir là où bon lui semblait. Avec Claude Gauthier (Je n'ai pas fini de t'aimer) - «Il chante bien, cet animal!» - et Claire Pelletier (La Manikoutai), l'auteur s'est fait discret: «Il y a plein d'endroits dans le disque où je disais il ou elle pourrait chanter seul (e), qu'est-ce que je viens faire là? Et Dan me disait: 'Ben c'est votre chanson! '«

Avec d'autres, comme Daniel Boucher, à qui Tit-Nor va comme un gant, ou Renée Martel (Ah! que l'hiver), on peut parler d'un dialogue.

«Avec Clémence (Tombée la nuit), on a fait chacun un couplet et on faisait les refrains ensemble. Y a une complicité assez évidente parce qu'elle aussi, 50 ans, elle connaît ça, lance Vigneault en riant. Deux voix fragiles qui disent finalement «il n'est de vrai que nos amours.»

Gilles Vigneault, Vivre debout, au Gesù, du 5 au 8 octobre.