À 53 ans, Kate Bush mène la vie dont rêve tout créateur désireux de maintenir intacte sa vie privée: prendre le temps nécessaire à la confection d'un très bon album, récolter les éloges, retourner chez soi, puis redémarrer le processus créatif. Depuis Aerial, sorti en 2005, quelques années de pause et retour au studio il y a près de trois ans afin d'amorcer un nouveau cycle qui trouvera assurément preneurs: 50 Words For Snow, nouvel opus dont elle nous explique courtoisement les tenants et aboutissants.

> Vous pouvez écouter les extraits de l'album sur le blogue d'Alain Brunet.

«Cet album découle du précédent, Director's Cut, qui consistait à relire plusieurs de mes chansons déjà existantes sur The Red Shoes et The Sensual World. Je croyais au départ que la réalisation de ces relectures coulerait de source, il n'en fut rien. Ce fut pour moi très difficile! Or, lorsque je me suis   finalement rendue au bout de ce processus, les bases d'un nouvel album avaient été posées. Je me suis sentie libérée des contraintes du travail accompli. J'ai pu écrire du nouveau matériel sans la difficulté ressentie pendant le processus de Director's Cut , somme toute très proche de l'esthétique de cet album. Étrangement, donc, cet album de création a été plus facile à réaliser que le précédent. J'y ai même pris beaucoup de plaisir.»

Au coeur de ce nouvel opus: la saison froide et sa caractéristique fondamentale, cette neige qui vient des cieux. L'eau qui se cristallise en haute altitude et qui se pose sur le sol jusqu'à ce que liquéfaction et évaporation s'ensuivent. «I was born in a cloud», chante Bertie McIntosh, fils de Kate Bush et du  guitariste Dan McIntosh, et dont la voix prépubère est mise de l'avant dans Snowflake.

«Ce dont je suis plus fière, affirme-t-elle sans ambages. La performance de mon fils est très puissante, cette chanson a été conçue pour sa magnifique voix. Ce qui devient une métaphore, vu le parallèle entre le caractère éphémère de ce registre vocal et la vie si courte d'un flocon de neige.»

Mais pourquoi la neige au juste? Pourquoi la neige au pays de Kate Bush, pays de la pluie?

«Nous avons connu deux véritables hivers en Angleterre, ce qui a été pour moi un vrai bonheur. De mon vivant, je n'avais jamais vu tant de neige tomber en Angleterre. Pas le souvenir d'un Noël blanc, enfin peut-être un seul... Or ces deux vrais hivers ont eu un impact réel sur ce projet. Rapidement, l'image maîtresse en devint la neige pour laquelle j'ai une grande fascination. Et pourquoi 50 Words For Snow? Une idée intéressante, un exercice amusant, ludique.»

Cet intérêt, ajoute l'auteure, compositrice et interprète, peut être plus vaste:

«Cela s'inscrit dans le même processus qu'Aerial. L'exploration de l'humain à travers la nature est un angle qui me séduit depuis longtemps. Aerial partait du monde des oiseaux. Cette fois, la neige et l'hiver mènent à des sujets connexes, à d'autres explorations. Prenons Wild Man, une chanson sur le Yéti, créature mystérieuse dont on ne peut scientifiquement confirmer l'existence. Je souhaite personnellement que le mystère puisse demeurer, il en va de même pour le monstre du Loch Ness! Nous avons besoin de mystères...»

Autre fait marquant de ce dixième album studio, l'étendue des chansons ne souscrit en rien aux standards de la FM classic rock qui a tant fait jouer  Kate Bush depuis 1978: la plus courte des sept inscrites au programme dure six minutes et quarante-neuf secondes!

«J'ai préconisé des structures plus longues afin d'y laisser une histoire et son atmosphère se déployer.  

Pour moi, il s'agit d'une évolution et une quête de nouveauté. Avec la chanson Coral Room sur Aerial, il faut dire, ça commençait déjà à se produire. Étrangement, je crois avoir réussi à épurer les pistes de ces chansons afin de les rendre plus puissantes sur la longueur.»

Courtoisement, Kate Bush résume ensuite le processus de création:

«Les trois premières chansons étaient presque nues au départ. Plusieurs ont été amorcées seule au piano, ou encore seule avec le batteur Steve Gadd - un musicien si inspirant. Elton John a aussi participé à un duo pour la chanson Snowed In At Wheeler Street; remarquable performance! Les orchestrations ont été ajoutées par la suite; pour ce, j'ai travaillé avec Jonathan Tunick, un arrangeur fantastique.»

Cela étant expliqué, la chanteuse se défend bien d'avoir une connaissance profonde des notions d'orchestrations et des styles qui peuvent être identifiés dans ma musique - folk, jazz, chant choral, musique classique, art rock, etc.

«Vous savez, soulève-t-elle en toute humilité, je n'écoute pas des masses de musique. Je ne peux prétendre être une mélomane de haut niveau. Ce que je fais est plus instinctif et résulte de séquences intenses de création. Aujourd'hui, j'imagine que cela se situe quelque part entre la composition orchestrale et la chanson. Encore là, je ne prétends pas à la grande musique.  Au piano, par exemple, loin de moi l'idée de me prendre pour une soliste! Le piano accompagne le chant, peut-être ai-je acquis plus de confiance à ce titre. J'imagine qu'on puisse le ressentir.»

Ce qui importe chez Kate Bush, en somme, relève essentiellement de la création.

«Il est très important pour moi d'avoir le sentiment d'avoir accompli quelque chose de différent lorsque je sors un nouvel album. J'ose croire avoir appris de nouvelles choses, être allée plus loin avec 50 Words For Snow.»

À la fin de cette conversation des plus agréables la question inévitable pour les fans: pas de retour sur scène à l'horizon? Sensiblement la même réponse qu'en 2005:

«À une autre époque, j'ai beaucoup aimé la scène. Aujourd'hui, j'adore le processus de la création en studio. Inconsciemment peut-être, c'est devenu une priorité. Mon métier, en fait. Cela s'est produit ainsi sans que j'y réfléchisse. Enfin, j'y réfléchis parfois... et je reviens à cette valeur: je tiens toujours à ma vie de famille. Je suis très heureuse de pouvoir faire ce que j'aime et avoir une famille harmonieuse. Je n'ai donc pas de projet de remonter sur scène. Cela ne signifie en rien que je me tourne les pouces: je viens de passer près de trois années intenses, j'ai été très impliquée dans tous les aspects de la production de mes deux derniers albums. Ça a été vraiment super, j'ai maintenant besoin d'une pause.»