Frédéric Guindon, fou de la musique rap, a rameuté ses amis rappeurs pour concocter l'album J'rappe tout seul quand Jean Narrache, un hommage au poète québécois (1893-1970) qui sert aussi une bonne cause, puisque tous les profits sont remis au journal L'Itinéraire. Un seul mot: respect!

«Notre prochain projet, ce sera Les douze hommes rapaillés», lance à la blague Frédéric Guindon, lorsqu'il est question de poésie récupérée par la musique. Ce jeune homme de 32 ans a beaucoup bourlingué dans la vie, cumulant des contrats dans la pub ou la télévision, écrivant pour les magazines Nightlife ou Urbania, avant de décrocher chez ce dernier le contrat de directeur du contenu web. Il a aussi travaillé chez Archambault, dans la section rap, là où il a tissé tous ses liens avec le milieu rap québécois.

Le rap, pour Frédéric Guindon, c'est une passion, déclenchée il y a plusieurs années par l'album L'école du micro d'argent d'IAM. Depuis, il a fait son éducation et écouté tout ce qu'il y avait à écouter dans ce domaine. Il se désole du peu d'intérêt que le Québec a pour ce genre musical - on s'en rend bien compte en écoutant les galas de l'ADISQ - et qui souffre encore d'une mauvaise réputation.

«Je déteste que le rap soit encore une musique marginale, dit-il. En 2011, ce devrait être au moins accepté. Il me semble qu'après 40 ans, ce n'est plus une mode qui va passer, c'est là pour rester. Je trouve dommage que des gens qui ont vu les disques des Beatles se faire brûler aient la même réaction envers le rap, 50 ans plus tard. Il y a encore beaucoup de préjugés, alors qu'il y a dans cette musique de la poésie, de la véracité, de la créativité et un engagement politique intense.»

Engagement et poésie il y a dans ce projet d'album de Frédéric Guindon. Depuis 15 ans, il avait dans sa bibliothèque un recueil de poésie de Jean Narrache (de son vrai nom Émile Coderre) l'un de nos premiers poètes ayant utilisé le joual et cela avec succès. Il faut savoir qu'en 1939, lorsqu'il publie Quand j'parl' tout seul, il en vendra 6000 exemplaires! Jean Narrache, c'est le poète des petites gens, des marginaux, des pauvres, et de leur langage.

Pour Frédéric Guindon, cela allait de soi que les profits de l'album soient versés au journal L'Itinéraire, qui emploie des gens de la rue, et que cela se fasse pendant Noël. «Le temps des Fêtes est un thème récurrent chez lui, ça s'imbriquait parfaitement», explique-t-il.

Mais, plus encore, c'est la modernité de l'écriture qui a inspiré Frédéric Guindon. «Jean Narrache parlait de son présent à lui, mais bien des réalités n'ont pas changé depuis», souligne-t-il. Et, de fait, lorsqu'on entend les chansons qui ont été tirées de ses poèmes, on est abasourdi par le résultat. Comme si cela avait été écrit hier.

Guindon a laissé pleine latitude aux participants pour adapter les textes à leur façon, «parce que je suis contre le purisme, dans tous les domaines», dit-il. Mais ils ont en grande partie respecté les poèmes originaux, auxquels ils ont parfois modifié quelques mots, ajouté un refrain ou un paragraphe. Le poème le plus retravaillé est Les réflexions d'un petit cinq cennes, transformé en «20 piasses» par Osti One et Jam, inflation oblige. Mais les réalités demeurent les mêmes: on ne va pas plus loin de nos jours avec 20 piasses qu'avec 5 cennes!

Les poèmes Les skieurs, Pensées pour la St-Sylvestre, En rôdant dans l'parc LaFontaine, Nos autobus, La montre-bracelet et Dans la lune ont donc été mis au goût du jour par les rappeurs Mc Phyllis&Maxim Robin, Maître J, Ogden, Jeanbart, Jesuis Gabbo et Égypto. En tout, sept chansons, inventives et irrésistibles, qu'on peut télécharger sur le site www.jeannarrache.com pour la très modique somme de 5$ - mais vous pouvez donner plus, si vous voulez aider L'Itinéraire, qui en a bien besoin. Frédéric Guindon y a mis tout son coeur, le projet ne lui aura coûté que 300$ mais beaucoup de temps, et ses amis rappeurs ont su respecter l'oeuvre du poète, voire la magnifier. Une façon de se faire plaisir tout en aidant les Jean Narrache de ce monde, parce que, après tout, «on s'figur' trop qu'la vie est dure; on est là qui r'chign' puis qui s'plaint/si on r'gardait c'que d'autr's endurent/on trouv'rait p'-t'être qu'on s'plaint le ventr' plein.»