Tournées triomphales en France, nomination aux Victoires de la musique, spectacles à Vancouver dans le cadre des Jeux olympiques, sortie de l'album de Trauma et participation à l'Exposition universelle de Shanghai: les deux années qui ont suivi la sortie de son album Tous les sens ont été des plus emballantes pour Ariane Moffatt, mais aussi des plus intenses.

Quand est venu le temps de clore le chapitre de l'album Tous les sens, Ariane Moffatt avait envie de rentrer à Montréal et de mener une vie «sans attentes». Elle a aménagé un studio maison dans un local situé au 5455, de Gaspé, dans le Mile End, une sorte de quartier général de créativité où travaillent plusieurs designers, artistes visuels cinéastes et autres musiciens.

«J'avais envie de flâner et d'expérimenter dans mon local sans savoir quand j'allais entrer en production», confie-t-elle.

Le matin, Ariane Moffatt se rendait à son studio pour bidouiller et enregistrer des trucs. «J'étais dans un état de concentration suprême, de flow, raconte-t-elle. Pour moi, c'est une forme de méditation dans la création. Je ne réalisais pas que le temps passait, que j'étais seule, qu'il faisait noir et que je n'avais pas mangé.»

C'est donc «sans attentes» que des chansons sont nées. Ariane Moffatt, qui avait réalisé ses autres albums avec des amis comme Francis Collard, Alex McMahon et Jean-Phi Goncalves, a senti le besoin d'aller «faire valider» ses nouvelles compositions. «J'ai donné quelques titres à Jean-Phi pour voir ce qu'il en pensait. Il m'a dit: je ne touche à rien et vas-y, dit-elle. À partir de là, j'ai décidé d'aller enregistrer à l'Hotel2Tango à une date précise.»

Dans un deuxième temps, Ariane Moffatt a travaillé au Studio Planète avec l'ingénieur de son Pierre Girard. «C'était un soulagement. Il est la moitié de l'album», laisse-t-elle tomber.

S'assumer en anglais

En novembre dernier, M pour Montréal annonce qu'Ariane Moffatt participera au spectacle de clôture, au Métropolis. Cela a piqué notre curiosité. Pourquoi Ariane Moffatt, qui connaît un succès monstre en France, s'associerait-elle à l'organisme qui promeut les artistes d'ici à l'étranger?

On a tout compris quand Ariane Moffatt est montée sur scène. Grande surprise: la moitié de ses nouvelles compositions étaient en anglais, sur des musiques électro moins pop et plus sombres.

«Sur scène, je le voyais dans la face des gens qu'ils étaient surpris! se souvient-elle. Mais en jouant, j'ai pris conscience que ça marchait.»

Comme les musiques, les textes de son album sont venus de façon instinctive. «J'ai fait un peu de psychanalyse et je voulais composer avec les mots qui sortaient.»

Pendant plusieurs semaines, Ariane Moffatt s'est tout de même demandé si elle pouvait sortir un album en anglais. «Je suis allée une semaine dans un camp de basket qu'a fondé mon frère dans le Grand Nord, à Salluit, le village d'Elisapie, poursuit-elle. Je suis allée enregistrer des pièces rap avec de jeunes Inuits qui font des chants de gorge. Puis, dans l'avion, en revenant, j'ai décidé de m'assumer: ça va être bilingue et je ne me justifierai pas de faire ça.»

Entre-temps, Ariane Moffatt se rend à Los Angeles pour peaufiner ses textes en anglais avec Simon Wilcox, qui a aussi travaillé avec Beast.

«J'ai toujours eu en moi beaucoup d'influences anglo-saxonnes. Et quand j'ai fait les reprises pour l'album Trauma, j'ai trempé mes orteils là-dedans, explique Ariane Moffatt. Puis, j'avais juste envie d'un album que j'aime, à l'image de ce que j'écoute, sans me retenir dans mes trips musicaux.»

Au final, MA comprend six titres en anglais et cinq en français. Étrangement, «la plupart des pièces électro sont en français et les plus organiques sont en anglais, dit-elle. J'ai toujours fait cohabiter l'organique avec l'électro».

Pour l'auditeur, les textes des chansons ont quelque chose de charnel et d'intime. À commencer par le premier extrait en anglais, In Your Body, qui évoque la dépendance que peut causer le désir, de même que le premier extrait en français, Mon corps, qui témoigne de la relation amour-haine que l'on éprouve envers sa propre chair. «J'assume le refrain à 90%, lance Ariane Moffatt avec son rire bien à elle. Sur le disque, je livre des aspects de moi, mais je les déguise dans des scénarios. Il y a des choses creuses, mais ce n'est pas un album triste de petites peines d'amour.»

Walls of the World ouvre l'album au son d'arrangements de cordes, puis le refrain prend une envolée prenante. La chanson fait référence à la vie qui bascule. «J'ai appris le décès du frère d'un ami et j'ai crashé en scooter dans un char parké», raconte Ariane Moffatt.

Un autre titre comme Hôtel Amour est inspiré d'un voyage à Tokyo. D'ailleurs, le titre de l'album, MA, réfère à une notion japonaise d'espace-temps qui témoigne d'une sorte de «présence par l'absence». D'après ses différentes définitions, c'est un «pont», un moment de vide entre deux objets, ou deux notes où quelque chose peut se produire. C'est donc à la fois un intervalle et un bref instant d'arrêt où tout est possible, quand la vie bascule.

Un marché à explorer

Pour Ariane Moffatt, MA représente un carrefour et non la continuité. Avec des chansons en anglais, elle veut explorer le marché anglophone. À la mi-mars, elle participera au festival South by Southwest (SXSW), à Austin, au Texas. Elle donnera des spectacles à New York et Toronto. «Je n'ai pas d'attentes. Je suis prête à faire du défrichage. J'ai le goût de vivre des expériences trippantes avec mes musiciens. J'ai le goût d'ivresse rock'n'roll!»

Le marché français, que la chanteuse connaît très bien, est fort différent du marché indie anglophone. «En France, il y a une sorte de contrôle extérieur et une industrie qui a des attentes.»

N'empêche, Sony-Columbia, l'étiquette d'Ariane Moffatt en Europe (où MA sortira le 21 mai), raffole déjà de ses nouvelles chansons. Des chansons nées instinctivement et sans retenue dans un local du Mile End qui a une vue superbe sur Montréal. «Même si je voulais inventer une grosse histoire derrière la naissance de l'album, je ne pourrais pas, car les choses se sont placées d'elles-mêmes», avoue Ariane Moffatt. Mais, au fond, elle nourrissait inconsciemment le fantasme de mener un projet musical de «A à Z».

C'est fait, et ce sera en magasin mardi.

Ariane Moffatt se produit à guichets fermés les 29 février et 1er mars au Rialto.



10 FAITS SAILLANTS POUR 10 ANS DE CARRIÈRE

2000-2002

Après des études en chant jazz et en piano au cégep et à l'UQAM, une ancienne serveuse du Pizzédélic de l'avenue du Mont-Royal est recrutée par le groupe trip-hop TenZen, puis par Marc Déry et Daniel Bélanger qu'elle accompagne en tournée comme claviériste. Son nom: Ariane Moffatt.

Été 2002

La jeune auteure-compositrice-interprète suscite le plus grand enthousiasme sur une scène extérieure aux FrancoFolies, si bien qu'elle est considérée comme la consécration du festival. Elle sort son premier album Aquanaute, réalisé et arrangé avec ses amis Francis Collard et Joseph Marchand.

Automne 2003

Vendu à 130 000 exemplaires, Aquanaute vaut à Ariane Moffatt 11 mises en nomination et trois prix au Gala de l'ADISQ, dont ceux de la révélation et de l'album pop-rock de l'année. Le 2 novembre, La Presse en fait sa personnalité de la semaine.

Printemps 2005

La parution du DVD Live à la Station C doit clore le chapitre d'Aquanaute, mais l'album est lancé en France avec le major Virgin/EMI. Le chanteur M prend sous son aile Ariane Moffatt, qu'il décrit comme sa «petite soeur rock'n'roll de Montréal».

Novembre 2005

Ariane Moffatt sort son deuxième album, Le coeur dans la tête, coréalisé avec Alex McMahon, qui fait état des conflits entre la raison et les émotions.

Février 2006

Ariane Moffatt fait ses premiers pas sur la scène de l'Olympia de Paris, en première partie d'Alain Souchon. C'est le début de sa carrière florissante

en France.

Avril 2008

Sortie de son troisième album,Tous les sens, coréalisé par Jean-Phi Goncalves (Plaster, Beast).



Photo Bernard Brault, archives La Presse

Ariane Moffat lorsqu'elle a remporté le Felix de la révélation de l'année, en 2003.

Automne 2008

C'est la consécration pour Ariane Moffatt dans l'Europe francophone, qui fait la couverture du cahier Sortir de Télérama et dont les grands quotidiens ne disent que du bien. Sa chanson Je veux tout tourne sur les ondes de NRJ.

2010

L'année 2010 fut une année de rêve: mise en nomination aux Victoires de la musique en France, prix de l'Académie Charles-Cros, spectacles à Vancouver dans le cadre des Jeux olympiques, sortie de l'album des chansons de la première saison de la télésérie Trauma, spectacle au festival Osheaga, deuxième tournée triomphale en France, spectacles à l'Expo universelle de Shanghai.

Novembre 2011

Ariane Moffatt participe pour la première fois à M pour Montréal. Elle interprète de nouvelles chansons lors du spectacle de clôture au Métropolis. Grande surprise: certaines de ses récentes compositions sont en anglais et le prochain album sera bilingue.

Moffat fait la couverture du cahier Sortir de Télérama à l'automne 2008: c'est la consécration en Europe francophone.