Christina Beaudry-Cárdenas tisse des liens insoupçonnés entre le jazz classique et celui, moins connu, du pays de sa mère, le Pérou. Présentation de la nouvelle lauréate du prix Oliver-Jones, créé il y a deux ans pour aider les jeunes musiciens et musiciennes issus des minorités visibles ou autochtones.

Elle est née à l’hôpital Sainte-Justine, à trois coins de rue d’où elle habite, a grandi à Outremont et fait son secondaire au Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie sur le chemin de la Côte-Sainte-Catherine. Après avoir suivi une formation en musique classique, la flûtiste de Vincent-d’Indy a troqué le petit tuyau pour les fûts, et la lumière fut !

Christina Beaudry-Cárdenas, trilingue, 25 ans, joue de la batterie avec inventivité sur un kit standard à cinq pots et caisses et conçoit, en plus, ses propres arrangements musicaux dans les eaux incertaines du jazz péruvien et celui qu’on connaît ici.

« Ça a pris un certain temps avant que je m’adapte à l’idée d’improviser », confie celle qui a été pigiste dans différents projets : big band, pop électro, samba… « Je n’ai pas fait un choix en ligne droite, j’ai un DEC en musique classique. Heureusement, des professeurs de batterie, comme Michel Berthiaume au Conservatoire de McGill et Jim Doxas (frère du trompettiste Chet), qui a été mon prof à Concordia, m’ont inculqué les bonnes bases. Puis je participais surtout à des jams au bar Upstairs, au Dièse Onze, au Grumpy’s… »

J’ai définitivement choisi la batterie en louant à l’heure des salles pour répéter, mais dorénavant, j’ai mon petit local.

Christina Beaudry-Cárdenas

La nouvelle diplômée de Concordia touchera une bourse de 5000 $ assortie d’une vitrine inouïe cette année au Festival international de jazz de Montréal. Les familles Peterson et Jones, fiertés du quartier de la Petite-Bourgogne, choisissent le ou la lauréate.

« J’ai reçu un courriel de l’Université pour me dire que j’étais en lice pour le prix, mais c’est la lettre reçue de Céline Peterson [la fille de 31 ans d’Oscar Peterson] qui m’a annoncé que j’étais la [deuxième] gagnante. J’ai soumis mon projet de fin de baccalauréat, celui que je présente au festival en septet, nommé Pizca [qui veut dire pincée], avec trompette, saxophone, trombone, piano, contrebasse et un chanteur », précise Christina Beaudry-Cárdenas, qui a pensé tous les arrangements des cuivres.

Un pari réussi

Alterner des genres peu enclins à se tolérer normalement, le jazz afro-péruvien des icônes Hugo Alcázar et Juan Pastor et les combos jazz acoustique occidentaux vieux de 100 ans, il fallait oser.

La percussion et le rythme sont super importants. Dans les faits, cette musique n’a pas de batterie dans sa composition d’instruments. Mais il y a des batteurs qui ont commencé à développer un langage afro-péruvien.

Christina Beaudry-Cárdenas

La batteuse s’évertue à pomper le meilleur de cette source. Elle aborde les nombreux changements de rythme avec aisance : rythmiques saccadées, accélérations, tout cela bien maîtrisé et parfaitement posé.

« C’est des adaptations, je vais jouer des chansons qui ne sont pas les miennes du tout, lance-t-elle humblement. On ne parle pas beaucoup du jazz péruvien. Oui, on parle du jazz cubain, du jazz brésilien… Dans le fond, je n’invente rien, Pizca, c’est mon interprétation d’une scène musicale qui existe déjà. Je compare ma musique à du jazz de chambre. Mes partitions sont aussi spécifiques que possible. »

Ses modèles sur l’instrument ? « Elvin Jones, la liberté qu’il a dans son jeu, ça me renverse. Je suis aussi une grande fan de Mark Guiliana. » On lui lance le nom du créatif Brian Blade : « Mon Dieu ! Je l’ai rencontré une fois lors d’un atelier et j’en ai parlé pendant trois semaines. Je n’ai pas de mots pour décrire mon admiration. Mes inspirations féminines à Montréal, il y a surtout Valérie Lacombe et Mili Hong. »

Un monde d’hommes, le jazz ?

« C’est une grosse question qui demande beaucoup de nuance dans la réponse. Les choses sont beaucoup mieux qu’elles ne l’étaient. Ça ne fait pas très longtemps que je fais partie de cette communauté jazz, mais ce n’est pas parfait. Il y a encore beaucoup de chemin à faire, beaucoup de sexisme, beaucoup de femmes vivent des expériences qui ne sont pas très professionnelles, traumatisantes. Ça existe et c’est certainement encore un problème. »

Christina n’a jamais rencontré le légendaire pianiste octogénaire de la Petit-Bourgogne Oliver Jones. « Mais on m’a confirmé qu’il sera à mon spectacle. J’essaie de ne pas trop y penser, j’ai toute une semaine de répétitions ! »

Le 9 juillet à 18 h au Studio TD (Maison du Festival). Entrée libre.