Près de six mois après la controverse qui a opposé Samian au Festival international de la chanson de Granby, l’évènement accueille mercredi quatre artistes issus des Premières Nations, afin de discuter « des défis encore présents aujourd’hui pour les communautés autochtones dans l’industrie musicale ». Florent Vollant, qui sera de cette table ronde, présente certaines de ses réflexions.

Quel est le principal défi qui se dresse devant les artistes autochtones ? « Le principal défi, c’est exactement le même que tout le monde, c’est de faire de la bonne musique », répond l’auteur-compositeur-interprète innu Florent Vollant, avec tout le sérieux du monde, mais aussi avec un peu d’humour.

Avec tout le sérieux du monde parce que, comme le chanteur innu l’a souvent martelé : les artistes autochtones sont des artistes à part entière, qui rencontrent les mêmes problèmes que tous les autres artistes.

Mais Florent Vollant, 63 ans, sait très bien qu’il ne suffit pas à un auteur-compositeur autochtone de pondre la mélodie du siècle pour être porté aux nues. « Ce n’est pas facile de se faire entendre, non. Juste être autochtone, ce n’est pas facile », lance le vétéran sur un ton exagérément badin, qui arrache un rire au journaliste. Un rire dont il sent instantanément le besoin de s’excuser. « Ne t’excuse pas. Il faut en rire, sinon, on va en pleurer. »

En pleurer ? En mars dernier, Samian dénonçait sur les réseaux sociaux que le Festival international de la chanson de Granby ait exigé qu’il présente un spectacle exclusivement en français, alors que Nikamo, son plus récent album, est entièrement scandé en anishinaabemowin. La direction de l’évènement précisera plus tard que le rappeur avait refusé sa demande d’imaginer une prestation composée de 80 % de pièces dans la langue de MC Solaar.

L’ancien membre de Kashtin parle de la contrainte imposée à son camarade Samian comme d’une « grave erreur ». « Je suis conscient que c’est un festival francophone, mais si on invite des Autochtones, il faut leur donner la liberté de faire ce qu’ils ont envie de faire. Granby, ils sont en retard. Ils ont peut-être 54 ans d’expérience, mais en ce qui concerne les Autochtones, de l’expérience, ils n’en ont pas beaucoup. »

Reste que pour Vollant, la discussion à laquelle il participera devant des professionnels de l’industrie, en compagnie de son fils et leader du groupe Maten, Mathieu McKenzie, du musicien Patrick Boivin et de la directrice générale de Makusham Musique, Nelly Jourdain, « c’est une belle invitation. Il y a une intention d’excuses là-dedans, je pense ».

Si on veut nous faire des excuses, c’est le temps, en tout cas. Mais on va surtout être là pour répondre aux questions et entendre les solutions, s’il y en a. Ce que je veux surtout dire, c’est qu’on ne veut pas faire partie d’un problème. On veut faire partie d’une solution.

Florent Vollant

Des langues étrangères ?

« Est-ce qu’encore, en 2022, les langues autochtones doivent être considérées comme des langues étrangères ? Ces langues ancestrales d’ici n’ont rien de menaçant pour le français ! », plaidait Samian en mars dans sa diatribe publiée sur les réseaux sociaux.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

En mars dernier, Samian dénonçait sur les réseaux sociaux que le Festival international de la chanson de Granby ait exigé qu’il présente un spectacle exclusivement en français.

Aussi absurde que puisse paraître cette idée, Florent Vollant peut en témoigner : les langues autochtones ont souvent été placées sous le vaste parapluie des langues étrangères par les institutions culturelles et les radios québécoises, pour la simple et pas très bonne raison qu’elles se dérobent à la binarité anglais-français. « S’il y a quelqu’un qui n’est pas étranger ici, c’est ben nous autres », rappelle-t-il, à la fois effaré et amusé d’avoir à le préciser.

Les dernières années auront cependant vu ce réflexe réducteur reculer. Exemple : le concours les Francouvertes, qui ne considérait historiquement que les candidatures de musiciens qui poussent la note en français, accueillait pour la première fois en mars deux concurrents qui entonnent leurs refrains en innu-aimun (Dan-Georges Mckenzie et Ninan).

Les artistes souhaitant participer au Grand concours du Festival international de la chanson de Granby doivent quant à eux, pour l’instant, présenter trois pièces écrites uniquement en français.

Pour Geneviève Côté, qui était confirmée dans ses fonctions de directrice générale du festival lundi dernier, il n’est pas interdit de s’imaginer qu’une prochaine édition du concours revoie ses règlements.

« Un artiste autochtone qui jouerait deux chansons dans sa langue et une chanson en français, et qui s’exprimerait devant le public dans sa langue et en français, je pense que ça se pourrait, en 2023 », avance celle qui confie avoir fait de la place accrue des artistes autochtones une de ses idées phares, lors des entretiens d’embauche qui ont mené à sa nomination.

Mais mercredi, on s’en va surtout écouter. Pour moi, il faut évoluer. Je ne sais pas comment ça va se traduire précisément, parce qu’on n’a pas encore fini cette édition-ci, mais c’est sûr que ça va arriver, parce qu’il faut que ça arrive. On veut continuer de faire rayonner la musique francophone, mais je ne pense pas que ça s’oppose à faire rayonner les langues autochtones.

Geneviève Côté, directrice générale du Festival international de la chanson de Granby

Et la radio ?

Makusham Musique, la boîte de Florent Vollant, déposera quant à elle cet automne devant le CRTC un mémoire proposant qu’un quota de 5 % de musique créée par des artistes autochtones (en langues autochtones, en français ou en anglais) soit imposé aux stations de radio canadiennes.

ICI Musique annonçait de son côté la semaine dernière que Samian pilotera tous les samedis soir Minotan !, une heure entièrement consacrée aux sons autochtones. Bien que l’initiative le réjouisse, Florent Vollant envisage davantage pareille émission comme le début de quelque chose, et non comme une ultime destination.

Le courant, en ce moment, dans les festivals, c’est d’avoir une slot autochtone. Mais c’est pas juste ça qu’on veut. Faites-nous pas une réserve ! On veut être partout.

Florent Vollant

L’homme, qui se remet lentement, mais sûrement d’une hémorragie cérébrale survenue en avril 2021, craint par ailleurs que ce qu’il appelle une « mode autochtone » n’engendre pas forcément les changements profonds qu’il espère. « C’est sûr qu’en ce moment, il y a un mouvement, et tant mieux. Lorsque ça va bien, tout le monde veut s’afficher à côté d’un Autochtone, mais quand ça va mal, il est où, tout ce monde-là ? »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Florent Vollant au Gala de l’ADISQ en 2019

« On n’est pas ici juste parce qu’on est autochtones, on est ici aussi parce qu’on est bons ! », lançait Florent Vollant en 2019 en cueillant le premier Félix de l’Artiste autochtone de l’année.

Une humble et souveraine conviction qui demeure au cœur de son message. « Je répète sans crainte qu’on est bons. On a de la qualité, on sait quoi faire, on avance. Ce qui est bien avec l’émission de Samian, c’est qu’on va pouvoir en écouter d’autres que ceux qu’on connaît, mais qui ont autant de talent. Parce qu’il y en a beaucoup, de tous les genres, pour tous les goûts. »