Ceux qui le suivent le savent : Jérôme Minière ne fait jamais les choses comme les autres. La pandémie nous a isolés ? Le faiseur de chansons, lui, en a profité pour s’entourer afin de créer La mélodie, le fleuve et la nuit, un album moins proche de la tête que du cœur.

Il a de l’humour, Jérôme Minière. Ça s’entendait sur Jérôme Minière chez Herri Kopter, disque aux accents pop où il radiographiait la société de consommation avec un sourire en coin. Ça se voit aussi sur scène, où il entraîne les spectateurs dans son imaginaire, se mettant en scène comme au théâtre, mais sans costume ni apparat. Un jeu d’artifices qui lui permet sans doute de surmonter une nature timide.

Sa réserve fait aussi qu’il y a longtemps eu quelque chose de cérébral dans ses chansons pourtant faites d’observations qui ne peuvent qu’émaner d’un être doté d’une grande sensibilité. Il l’admet volontiers. Plus jeune, il n’arrivait pas à faire le pont entre sa tête et ses tripes. « Avec les années et le vécu, je suis moins sûr de ce qui se passe ici, dit-il en pointant sa tête, et j’essaie d’écouter plus ce qui se passe plus bas. »

Et ça s’entend sur La mélodie, le fleuve et la nuit, disque qu’il considère comme le troisième d’un cycle incluant Dans la forêt numérique (2018) et Une clairière (2019). Ce 12e album de chansons originales en un peu plus de 25 ans montre en effet la même volonté de radiographier le monde fragmenté dans lequel on vit. Avec un petit quelque chose de plus : le désir d’offrir des musiques confortables.

« Le point de départ, c’est exactement ça », convient l’auteur et compositeur né en France et établi au Québec depuis la fin des années 1990.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Jérôme Minière

Je voulais juste des chansons confortables. Comme un lieu où je pourrais me sentir bien et qui ferait du bien aux gens.

Jérôme Minière

Un lieu où, en pleine pandémie, il n’a pas voulu rester seul.

S’entourer

Jérôme Minière a l’habitude de faire pas mal tout lui-même sur ses disques concoctés depuis deux décennies dans un petit local situé rue Jean-Talon, à deux pas de la Plaza St-Hubert. « Comme je suis souvent dans mon coin, avec la COVID, je trouvais que ça faisait vraiment trop dans mon coin », dit-il. Alors il s’est entouré.

Il a lancé une invitation à Philippe Brault (réalisateur et collaborateur de Pierre Lapointe, entre autres) avec qui il a travaillé comme musicien au théâtre dans Soifs, adaptation du roman choral de Marie-Claire Blais. Puis, il a renoué avec Ngabo, chanteur d’origine burundaise, pour une chanson aux accents soul intitulée Nuit américaine. Il a aussi invité sa compatriote Françoiz Breut, avec laquelle il a tourné et collaboré au tournant du millénaire, et chante en duo avec une certaine Fé sur Paruline, morceau aux accents quasiment cap-verdiens.

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Qui est cette Fé, dont on ne trouve nulle trace sur l’internet ? « C’est ma fille, dit-il en souriant. Je voulais que mon fils et ma fille m’aident pour les chœurs parce qu’ils chantent vraiment bien tous les deux. » Ça n’a pas été possible avec son fils, regrette-t-il, mais « Paruline, ç’a été tellement convaincant que c’est devenu plus que des back vocals ».

Plus sentimental

Il se dégage de La mélodie, le fleuve et la nuit moins d’inquiétude qu’on en sent d’ordinaire chez Jérôme Minière. Ses musiques, qui mêlent toujours lutherie électronique et instruments acoustiques, se révèlent aussi plus variées et légères qu’avant. En plus de la soul tâtée avec Ngabo, on entend ici et là des traits qu’on associe davantage aux musiques latine et brésilienne.

C’est le « fil caché » du disque, soutient-il. Qui tient aux percussions, mais aussi à la place importante occupée par la guitare classique et au fait que le créateur assume désormais pleinement son affection pour les musiques « sentimentales » comme les boléros. On s’entend : Jérôme Minière ne s’est pas métamorphosé en crooner latin pour autant.

Ces couleurs qu’il ajoute à sa palette sonore apportent de la chaleur à ses réflexions sur le temps qui passe et nos relations aux autres, qu’il rend de manière plus intime encore qu’auparavant. « Il est tellement difficile de tenir un discours qui parle à tout le monde, c’est devenu quasiment impossible, en fait, alors c’est mieux d’explorer des sentiments ou des choses intérieures, constate-t-il. Je sais que pour plein de gens, c’est une banalité. Ça dépend d’où on part : d’où moi je partais, c’est nouveau de faire ça. » Et ça le rend encore plus touchant.

La mélodie, le fleuve et la nuit

La mélodie, le fleuve et la nuit

Jérôme Minière

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