Dans Les liens les lieux, Richard Séguin se promène entre le pays de l’enfance et le territoire habité. Un nouvel album intime et enveloppant, par un auteur-compositeur-interprète qui croit au pouvoir du mot « espérance ».

Richard Séguin se fait discret entre chaque album, mais il n’en écrit pas moins. Cinq ans après son projet musical consacré à Henry David Thoreau, le revoici avec une œuvre longuement mûrie, dans laquelle sa musique revêt de nouvelles couleurs.

« À 70 ans, ce qui est nouveau, c’est que tu fais des choses sans attente », dit Richard Séguin, qui pendant deux ans a écrit et composé dans sa petite cabane construite dans la forêt à Saint-Venant-de-Paquette, où il habite. Il a pris le temps, « sans deadline », de « forger » chacune des dix chansons de l’album.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Richard Séguin

« Dans le fond, moi, je suis un artisan », dit le chanteur, qui s’empresse ensuite de nous montrer des photos de ladite cabane et de la vue qu’elle lui offre sur les Appalaches, « ses » montagnes. « Ma blonde est bien contente depuis que je vais travailler là, ça fait moins de traîneries dans la maison ! »

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Richard Séguin est de bonne humeur. Il se prépare à reprendre la route dès la mi-septembre avec une grosse tournée de 80 spectacles en un an. « Je fais des vocalises, j’ai recommencé des exercices de guitare… La scène n’est pas le lieu où tu libères tes toxines, je veux être en forme ! » Et il est heureux de collaborer avec des musiciens qui l’emmènent dans de nouvelles avenues.

« Ce sont tous des jeunes dans la quarantaine. Ils me racontent que leurs parents leur faisaient écouter Journée d’Amérique quand ils avaient 9 ans… Ça fait de bonnes anecdotes ! »

Il rigole. Mais travailler avec des artistes d’autres générations fait partie du plaisir d’avoir une longue carrière — quelque chose autour de 50 ans dans son cas.

Les jeunes me demandent souvent comment je fais pour durer. Ils font ce qu’ils veulent avec la réponse, mais je dis qu’il faut des pauses. La vie précède l’écriture. La partition musicale prend tout son sens quand il y a des silences, et c’est la même chose pour la carrière.

Richard Séguin

L’album est né avec trois textes que lui a écrits la poète Hélène Dorion, dont il aime la vision lucide du monde. « Il est déjà minuit / Dans la forêt du monde / Qu’est-ce qu’on a trahi / Pour que l’orage gronde », nous récite-t-il. « Elle résume tout. »

Son complice de longue date Marc Chabot lui a aussi écrit une chanson, Puisque, un texte plus grave qu’il avait prévu, né après une discussion sur les proches emportés « par la grande faucheuse ». Le chanteur a aussi adapté un texte d’Hugo Latulippe, inspiré de son documentaire Je me soulève, qu’il interprète a capella à la fin de l’album.

C’est inspiré par « l’imprévu » de ces nouveaux textes, et après avoir rencontré l’arrangeur Mathieu Vanasse, que Richard Séguin a laissé cordes et claviers prendre leur place à côté des guitares. « Ça donne des couleurs que je n’avais jamais eues. »

Résultat : il a ressenti dans cette « nouvelle signature » une forme d’apaisement qu’on entend dans sa manière de chanter, plus douce, plus proche, plus intime. « J’avais tendance à pousser beaucoup la note, dans celui-là j’ai baissé le registre. »

On a même l’impression parfois qu’il chuchote, comme dans Un peu de poésie, qui ouvre l’album.

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PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Richard Séguin

Peut-être que j’avais besoin de ce chemin d’introspection, d’intimité, après tout ce qu’on venait de vivre. Je me suis fait proche du silence, de l’intériorité. C’est une saison, ma saison. Je ne sais pas quelle sera la prochaine.

Richard Séguin

À travers toute cette douceur, pas étonnant qu’on y retrouve la famille et l’ombre bienveillante de ses parents. Dans Le garage, il évoque avec tendresse l’antre de son père, rempli d’objets « qui parlent comme des mots ». Puis dans Tout près des trembles, pour la première fois, il consacre une chanson, très émouvante, à sa mère. Celle qui a fait « entrer la culture » dans la maison et qui notait dans un petit calepin toutes sortes de citations.

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Aujourd’hui, c’est lui qui grave dans le bois de sa cabane des bouts de textes qui l’ont marqué. « Ah, ça, c’est son ADN, c’est certain », dit en souriant doucement Richard Séguin, pour qui visiter le passé n’est pas un geste nostalgique. Il voit l’exercice davantage comme une « chronique ».

« J’ai beaucoup de difficulté à regarder en arrière, j’aime mieux regarder en avant. Mais ça n’enlève pas que le pays de la naissance et de l’enfance reste toujours vivant, et que les impressions reçues à ce moment sont déterminantes. »

Espoir

Cette bulle d’intériorité qu’il a tissée autour de l’album se propage même dans ses textes plus engagés. Par exemple, dans Chemins forestiers, qui dénonce les coupes à blanc, Richard Séguin est porté par la même exaspération qu’à l’époque de Protest Song. Mais la manière, elle, a changé.

« La façon de l’aborder est moins frontale, mais aussi ressentie. Des fois, murmurer peut avoir une plus grande portée que crier. »

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Celui qui chantait Qu’est-ce qu’on leur laisse il y a 15 ans est plus préoccupé que jamais par la crise climatique et le traitement qu’on réserve à la planète. Mais s’il est lucide, il refuse le fatalisme.

Quand j’ai fait Douze hommes rapaillés, je chantais cette ligne de Miron : “Je me ferai porteur de ton espérance”. Il y a des mots refuges et c’en est un qui m’a habité longtemps. Je crois que des mots peuvent s’inscrire dans notre chair, qu’ils sont aussi essentiels que l’eau.

Richard Séguin

Dans le spectacle qui s’annonce plus acoustique que les précédents, les mots seront aussi mis de l’avant. Il naviguera bien sûr entre les récentes et les anciennes chansons et entend souligner les 30 ans de l’album Aux portes du matin, qui a beaucoup compté pour le public.

« Je ne sais plus qui a dit ça, mais une chanson, c’est comme un repère affectif dans nos vies. C’est toujours étonnant de savoir le chemin qu’elles prennent. »

Il espère que les nouvelles sauront résonner aussi chez les gens. Et même si « on accuse beaucoup de retard », il garde espoir pour la suite du monde et a confiance dans les générations montantes.

« En ce moment, le courant passe plus avec les femmes, comme avec Mères au front. Je ne sais pas comment les générations suivantes vont nous percevoir… Je me demande, des fois, est-ce qu’on est en train de danser sur le Titanic ? »

Ce qui ne l’empêche pas de continuer à faire des chansons.

« Oui. Je vais en faire tant que la santé me le permette. Une chanson… moi, ça me fait du bien. Quand Hugo me prête ses mots : Nous nourrirons le feu de nos villages… Où nous vivons des jours heureux… Ces territoires sont notre temple… Ça vient vraiment me chercher. »

Une émotion soudaine lui serre la gorge et il cesse de parler. On lui rappelle que justement, quand il chante ces mots, il est utile. Il ferme son sac, se lève tranquillement et nous regarde, les yeux brillants.

« On va essayer. »

L’album Les liens les lieux sort le vendredi 9 septembre.

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