C’était soir de rentrée jeudi pour l’Orchestre symphonique de Montréal et son chef Rafael Payare avec l’immense et populaire Symphonie no 2 de Mahler. Une autre très grande soirée signée OSM.

Au même moment où avait lieu le premier débat des chefs de la campagne électorale québécoise, un tout autre combat faisait rage sur la scène de la Maison symphonique, non pas celui des fins du vivre-ensemble, mais de la mort et de la vie.

Car les deux œuvres au programme – la symphonie était précédée d’une création de l’Autrichien Thomas Larcher – mettaient en scène une lutte sans merci entre des forces contraires.

Dans Time, commande commune de cinq orchestres, dont l’Orchestre symphonique de San Diego, l’autre ensemble de Rafael Payare, ce conflit ne chemine peut-être pas vers la lumière comme chez Mahler, mais vers une sorte de soulagement.

L’œuvre d’environ 20 minutes commence par une sorte de magma apocalyptique atonal où éclatent çà et là des exclamations des vents. Mais bientôt percent de faibles rayons tonaux qui nous mènent vers un passage presque brahmsien aux cordes, jusqu’à une conclusion apaisée en decrescendo. Une œuvre cérébrale – quelle science de l’orchestre ! – mais touchante en même temps.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Rafael Payare, chef de l’Orchestre symphonique de Montréal

C’est une bonne nouvelle pour Montréal d’avoir un chef qui a un pouvoir d’attraction capable de susciter des œuvres de cette qualité de la part d’une figure non négligeable de la création contemporaine.

Mais la métropole est surtout chanceuse d’avoir pu mettre le grappin sur Rafael Payare avant qu’il ne soit à la tête d’un orchestre de premier rang. Car ce qu’il a fait jeudi soir avec Mahler n’a rien de commun.

Assister à la Symphonie no 2 en do mineur, dite « Résurrection », est en soi un plaisir pour tout mélomane. Cette œuvre-monde donne l’impression d’assister à un ballet de plaques tectoniques, à une manifestation du sublime au sens kantien, car d’une ampleur dépassant nos capacités humaines d’appréhension.

Jusqu'au clou du spectacle

Mais qu’en est-il de la « Deuxième » de Payare ? On a tout entendu au disque dans cette œuvre, du geste cursif de Klemperer à la lente mais passionnante dissection d’un Scherchen. Avec ses 83 minutes, le chef de l’OSM se rapproche beaucoup plus du premier, avec un sens du chant et de la création d’atmosphère qui n’est pas sans évoquer Bernstein.

Signalons d’abord son sens de l’architecture. Le chef inscrit chacun des innombrables épisodes dans l’économie générale de l’œuvre. Chaque passage est cohérent, bien connecté à ce qui vient avant et après, mais avec un climat toujours unique. On pense au thème lyrique du premier mouvement, idéalement détendu après la tension du début.

On est d’abord étonné du tempo assez rapide du deuxième mouvement, mais tout prend son sens quand on comprend que Payare désire mettre l’accent sur le côté dansant de la mesure à trois temps plutôt que – comme beaucoup de chefs – sur l’indication « sehr gemählich » (très tranquille).

Idem avec le troisième mouvement, quand même rapide, mais néanmoins « souple et fluide », comme demandé par Mahler.

Le clou est évidemment le vaste cinquième mouvement, où le chef fait preuve d’un habile sens de la narration. Tout est préparé au quart de tour, entre autres les différentes « bandas » (petits orchestres) en arrière-scène ou derrière les spectateurs, jusqu’à l’apothéose du chœur, qui chante d’abord assis, puis debout pour la résurrection finale.

Des deux solistes, on préfère la grande soprano Dorothea Röschmann, d’une émission plus égale que la mezzo-soprano Karen Cargill. Le chœur préparé par Andrew Megill nous a pour sa part gratifiés d’une sonorité d’un autre monde.

Le concert sera redonné ce vendredi à 19 h 30 et samedi à 14 h 30.