La batteuse, compositrice et improvisatrice italienne originaire de Bergame présente The Human Web dans le cadre de l’OFF, accompagnée de quatre musiciens et d’une danseuse. Turbulences en vue.

Pas de ballade ouatée, que des escapades délibérées, avec quelques armatures électroniques. Voilà, grosso modo, le menu musical que Francesca Remigi, 26 ans, et son groupe ont l’intention d’élucubrer au Théâtre Plaza, samedi. « Les improvisations qui sortent des schémas et des structures établies aiguisent ma curiosité », lance Remigi sans surprise.

L’album The Human Web, sorti en mars 2021, héberge huit titres sur 45 minutes nécessitant 25 musiciens. On a peine à imaginer une reproduction note pour note des digressions impressionnistes des avant-gardistes.

On en aura inéluctablement la preuve samedi alors que The Human Web sera joué à cinq musiciens, avec dans son effectif deux Canadiennes, Naomi McCarroll-Butler, sax alto, et Aretha Tillotson, contrebasse ; formation complétée par le pianiste montréalais Evan Shay. La danseuse Claudia Cappelletti aura un bel écrin pour gesticuler à travers les musiciens !

Son groupe Archipelagos s’est formé il y a trois ans. Plus compositrice qu’instrumentiste ? « C’est vrai, je compose davantage », répond-elle.

Le rôle le plus important avec la percussion, c’est d’appuyer et seconder les autres musiciens du groupe. Je ne suis pas une show off sur la batterie, je ne cherche pas à épater. Je préfère nettement approfondir ma compréhension des textures musicales et des dynamiques sonores.

Francesca Remigi

Opposant sa fragilité extrême face aux courants tumultueux qui secouent son univers bouillant d’énergie vitale, Francesca Remigi évacue ses peurs à grands coups d’improvisations. « L’effet des médias sociaux sur l’estime de soi et mes troubles alimentaires quasi suicidaires qui ont duré trois ans ont engendré des musiques inspirées de concepts sociopolitiques comme ceux de Noam Chomsky », explique-t-elle.

L’Italienne du Nord dévoile et déballe ses démons. « À l’image d’un placard secret entrouvert où l’on retrouve pêle-mêle mes états d’âme, je mets ma propre santé mentale comme canevas abstrait pour ouvrir la voie à l’improvisation. The Human Web, c’est ça : un patchwork, résume-t-elle, toutes les ramifications de l’arbre jazz s’y collent, elles nous montrent le chemin du tronc. »

Trio partout

Elle rejoint la Berklee Global Jazz Institute en 2020 où elle a travaillé toutes les pistes de l’album sans ses comparses étalés aux quatre coins du monde. « Je compose sur [le logiciel de composition] Sibelius, j’importe ensuite les pistes sur [le logiciel studio] Logic. La pandémie a forcé les musiciens à trouver des solutions créatives ! »

Rien n’est trop beau pour la transalpine quand elle déclame, genou à terre, ses secousses intérieures qui se brisent contre le roc de ses tourments. L’exécution humaine de la batterie semble hantée et même guidée par ses failles.

Après un détour de trois ans à Bruxelles, où elle s’initie à la musique carnatique de l’Inde, la musicienne s’établit à Boston, avant d’atterrir à New York. L’institut italien de la culture la parraine régulièrement : arrivée d’une tournée en Australie, elle débarquait à peine d’Italie hier, alors que son groupe était invité à JAZZMI.

Bergame, Bruxelles, Boston. Son parcours bien tracé, Francesca Remigi est aujourd’hui bien établie dans le milieu des musiques improvisées et d’avant-garde où elle ébauche, explore et défriche.

Son plus récent disque, Confini Labili (frontières floues) paru en août, propose un trio clarinette basse-batterie-guitare, ponctué de sonorités synthétiques. On aime particulièrement le nom du triumvirat sur la pochette : Calcagno (clarinette basse) Subatin (guitare) Remigi (batterie), qui, dans son esprit italien, rappelle le fameux trio prog des années 1970 Premiata Forneria Marconi (PFM).

« On s’est réunis dans mon studio durant la pandémie. Javier fait partie d’une communauté d’improvisateurs de l’avant-garde, à laquelle Federico et moi avons adhéré, mais Confini Labili n’est pas un album concept. Cela nous a incités tous les trois à fonder notre propre étiquette de disques, Habitable Records, en 2021, où huit employés travaillent. »

Remigi ne tient pas à suivre les traces de ses compatriotes, les trompettistes Paolo Fresu et Enrico Rava ou le plus jeune Enrico Pieranunzi, ce dernier pourtant aussi ferré qu’elle quand vient le temps de s’aventurer dans le brouillard avec une boussole en folie.

« Ils n’ont aucune influence sur moi, les plus vieux. Je ne suis pas porteuse de leurs héritages en jazz, avec leurs belles mélodies. L’Italie a produit de grands musiciens et musiciennes de jazz avec des airs rassurants. Je préfère innover et ne pas repasser sur ces sentiers, avoue-t-elle en toute franchise. Mais je ne me vois pas comme une pionnière. »

En novembre, deux semaines de résidence l’attendent au Hambidge Center en Géorgie, puis en décembre, ce sera huit spectacles européens avec le maestro Paolo Damiani. Entre l’antre de création et la scène, Francesca Remigi a trouvé un bel équilibre.

Le 8 octobre, au Théâtre Plaza

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Quatre suggestions de concerts et d’activités

Orchestre National de Jazz de France (ONJ)

Avec une armada de 16 musiciens, l’ambitieux projet Ex Machina, conçu par le saxophoniste et compositeur de musique expérimentale américain Steve Lehman, réalisé conjointement avec le compositeur et guitariste électrique Frédéric Maurin, est une intrigante galère dans des eaux incertaines, menée à bon port par l’Institut de recherche musicale de l’Ircam. L’initiative s’inscrit dans la mouvance des expériences récurrentes alliant technologie et musique. La démarche artistique est inédite et rehaussée de dispositifs scéniques qui mettent au-devant un ordinateur qui peut générer des orchestrations électroniques au sein d’un grand ensemble jazz. Et, pourquoi pas, devenir un partenaire d’improvisation ! Jérôme Nika, pour sa part, conçoit l’environnement DYC12 qui s’intégrera aux improvisations des solistes. L’illustre collectif jazz termine chez nous sa tournée en sol nord-américain. Haute voltige en perspective.

Le 7 octobre, au Théâtre Plaza

Marianne Trudel et Karen Young

L’érudite pianiste retrouve avec bonheur sa compagne chanteuse et nous propose Ode à la nature, Ode à la vie, un tout nouveau spectacle où poésie, musique et chansons s’entremêlent avec la complicité du Yves Charuest trio. Le talent de Marianne Trudel pour la composition laissait présager le meilleur en improbable duo avec le batteur John Hollenbeck tout récemment. Ensemble, ils accouchent de Dédé Java Espiritu, un appel à la beauté, à la transe et au rêve, toujours avec cette approche mystérieuse au piano. Imaginez une rencontre entre elle et Karen Young qui, à 71 ans, maîtrise toujours aussi bien ses vocalises jazz et marche irrémédiablement sur de hauts sommets. En 2009, Young lançait Électro-beatniks avec le bassiste Éric Auclair, et après quelques albums avec sa fille Coral Egan, la chanteuse publiait Portraits, Songs of Joni Mitchell en 2018 avec, justement, Marianne Trudel. Des chansons de Blue ? Court and Spark ? On rêve déjà mieux.

Le 11 octobre, au Lion d’Or

Envolée d’Ariane Racicot

Révélation jazz Radio-Canada 2022-2023, la pianiste et compositrice de jazz progressif a un dada : composer du jazz qui fusionne le métal, le latin et la musique classique ! Son concert en première partie de l’illustre trompettiste américain Wynton Marsalis lors du 42Festival international de jazz de Montréal a fait écarquiller bien des yeux. Voilà l’exemple probant d’une pianiste qui fonce avec assurance et qui prend des risques, hors des cadres convenus, à l’instar de son aînée Emi Roussel qui fait du jazz de création de grande qualité. C’est de la sacrée relève, ça, et en plus, une innovatrice qui évite les relectures BCBG de chansons de Radiohead… Il faut voir la musicienne qui a cumulé 18 millions de vues sur YouTube avec sa version de Bohemian Rapsody ! Son premier album, Envolée, sera joué en trio. Si sa musique était une boisson, ce serait un gin-tonic, selon elle ! Entrée libre.

Le 12 octobre au MTL Improv/St-Henri Jazz Club

Jean-Michel Pilc

Le pianiste français de réputation internationale est très bien au Québec, où il réside depuis 2015. Ses 20 ans de résidence à New York, ses nombreuses tournées autour du globe et apparitions au Festival international de jazz de Montréal, notamment, en font un excellent professeur en jazz et improvisation à l’Université McGill. Avec quelques parutions de disques sur le label montréalais Justin Time, Pilc s’apprête à lancer Symphony, son tout nouveau recueil de compositions faisant suite à Alive, sorti plus tôt cette année. Plusieurs titres de Symphony seront sûrement offerts au public montréalais, ainsi que des pièces de Paralell, son double album solo, lors de sa prestation à l’OFF. Intense et imprévisible, son arsenal musical est redoutable, autant dans ses interprétations libres de standards du jazz que les siennes. La quintessence du piano solo, toutes allégeances musicales confondues.

Le 12 octobre au Le Ministère