L’intégrale des sonates pour piano de Beethoven commencée par Louis Lortie juste avant la pandémie a repris son cours jeudi soir à la salle Bourgie après moult reports causés par la fermeture des salles. Un redémarrage qui promet.

Les 32 sonates pour piano de Beethoven, c’est à peu près 10 heures de musique à se mettre dans la tête et les doigts pour l’interprète. Un défi pour tout pianiste donc.

Mais Louis Lortie n’est pas « tout » pianiste, lui qui a étudié avec un élève d’Artur Schnabel, lui-même disciple de Leschetizky, qui avait lui-même travaillé avec Czerny, un élève de Beethoven. Le Québécois a déjà gravé le cycle complet chez Chandos, mais aussi en vidéo pour Medici en 2020 dans une salle Bourgie le plus souvent vide.

Le pianiste n’a pas choisi une approche chronologique stricte pour l’ensemble de l’intégrale, certains concerts mêlant des sonates de différentes époques de la vie du compositeur.

On a ainsi pu entendre jeudi soir – dans cet ordre – trois sonates de jeunesse (celles de l’opus 7 et de l’opus 14), l’opus 31 no 1, composée après le tournant du Testament de Heiligenstadt – profonde crise de Beethoven liée à sa surdité –, et une sonate de haute maturité, celle dite des « Adieux », opus 81a.

Le musicien ne survole pas les partitions : il les connaît comme le fond de sa poche. La technique est souveraine, même dans les mouvements les plus athlétiques comme le finale des « Adieux ».

D’aucuns auront peut-être même trouvé certains passages trop musclés, notamment le début de la Sonate no 4 en mi bémol majeur, opus 7, dont les graves martelés font vrombir le grand Bösendorfer prêté pour l’intégrale et saturent rapidement le petit vaisseau de l’ancienne église Erskine and American. Mais Lortie est aussi capable d’une ineffable douceur, comme en fait foi le début du dernier mouvement de la même partition, d’une tendresse infinie.

Une légère détente

Pour le reste, le pianiste se situe à mi-chemin entre la grande tradition romantique des Gilels, Arrau et compagnie, et des iconoclastes comme Kovacevich ou Gelber, qui semblent réinventer chaque fois ces partitions maintes fois enregistrées.

Les mouvements lents sont toujours très sentis, avec, encore là, une sonorité des grands jours. L’andante de la Sonate no 26 en mi bémol majeur, opus 81a, « Les Adieux », joué plus « adagio » qu’« andante », n’oublie cependant pas l’indication espressivo. Idem pour le mouvement correspondant de l’opus 7.

Autre élément remarquable chez Louis Lortie : la capacité de bien caractériser le matériau musical, loin de la tyrannie du métronome.

On pense au premier mouvement de la Sonate no 9 en mi majeur, opus 14 no 1, où le second thème, plus lyrique que le turbulent thème initial, est joué avec une légère détente qui nous laisse le temps de l’apprécier.

L’artiste fait en quelque sorte le contraire dans la Sonate no 10 en sol majeur, opus 14 no 2, exécutant le premier thème de l’allegro initial avec une certaine indolence, accélérant ensuite un poil alors que survient le second thème, en ré majeur.

À d’autres moments, la signature de Lortie se signale plus discrètement, mais aussi efficacement, comme à un endroit précis du premier mouvement de la Sonate no 16 en sol majeur, opus 31 no 1, où le pianiste souligne juste assez le passage du mode majeur au mineur. Où, dans d’autres sonates, certaines notes subtilement allongées afin de nous signaler discrètement les mille beautés de ces partitions et donner plus de souplesse à la phrase.

L’intégrale se poursuit au même endroit les 16, 18, 19 et 20 octobre.