« J’admirais et j’aimais la superstar, mais j’aimais encore plus la personne qu’était David », confie l’ancien collaborateur de Bowie, Adrian Belew, un des guitaristes les plus inventifs des cinq dernières décennies qui, mardi soir à Montréal, célébrera l’inestimable œuvre de son défunt ami.

Soir de première au Colisée de Québec, le 4 mars 1990. Après quelques semaines de répétitions, David Bowie amorce son Sound+Vision Tour, une équipée mondiale de sept mois qui le mènera dans 27 pays. Sur une scène composée d’une immense grille métallique, le guitariste Adrian Belew court d’une extrémité à l’autre, tout en jouant un de ses solos héroïques.

« Je faisais ma rock star et pendant tout ce temps, David restait au milieu, sans bouger, à me regarder aller », se souvient-il au sujet de la date inaugurale de cette tournée, à laquelle participaient aussi Louise Lecavalier et La La La Human Steps – « David adorait Louise. »

« Mais quand j’ai terminé mon solo, poursuit Adrian Belew, je me suis rendu compte que mon fil de 60 pieds s’était enroulé autour de sa jambe et qu’il était pris au piège. C’est à ce moment-là qu’il m’a présenté comme le Fred Astaire de la guitare électrique ! »

David avait beaucoup d’autodérision. Il prenait ses spectacles au sérieux, mais il ne se prenait pas au sérieux.

Adrian Belew

PHOTO FOURNIE PAR RCA

David Bowie sur scène durant l’Isolar II Tour, auquel a participé le guitariste Adrian Belew

Au-delà de ce talent pour les cabrioles, Adrian Belew, 72 ans, est surtout un des guitaristes les plus novateurs de l’histoire du rock, en tant que principal architecte de la deuxième vie de King Crimson ou comme paysagiste sonore sur plusieurs albums mythiques, dont Remain in Light de Talking Heads ou The Downward Spiral de Nine Inch Nails. Il compte cet automne parmi les têtes d’affiche de Celebrating David Bowie, spectacle hommage réunissant d’anciens collaborateurs et admirateurs du Thin White Duke, dont le légendaire chanteur Todd Rundgren.

En 1978, Belew vient tout juste de conclure une tournée avec Frank Zappa lorsque l’Homme tombé du ciel l’enrôle pour son Isolar Tour II (immortalisé sur l’album Stage), puis pour l’enregistrement, à Montreux en Suisse, de l’album Lodger.

Sur des titres pourtant plutôt pop comme D.J. et Boys Keep Swinging, le guitariste américain déploie un jeu hachuré, haletant, étrange, à la fois parfaitement maîtrisé et totalement échevelé, ayant davantage à voir avec le dripping de Jackson Pollock qu’avec n’importe quel autre musicien. Comme une insurrection de dissonance qui éclabousserait des chansons sinon immaculées.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE YOUTUBE

Adrian Belew, lors d’un spectacle avec David Bowie à Tokyo en 1990, dans le cadre du « Sound+Vision Tour »

Un résultat qu’expliquent aisément les conditions dans lesquelles il a été contraint de travailler : « David, Brian Eno [collaborateur] et Tony Visconti [réalisateur] étaient dans la régie et moi, j’étais dans un studio au-dessus avec une caméra à sens unique qui leur permettait de me voir. Ils m’ont dit : ‟Va en haut, mets les écouteurs, tu vas entendre le batteur faire son décompte et on veut que tu commences à jouer.” »

Puis-je entendre les chansons avant ? de répliquer Belew. Non. Pourrait-on au moins m’indiquer dans quelle gamme je dois m’exécuter ? Non plus. « Ils souhaitaient vraiment capter les réponses accidentelles que provoquerait chez moi la musique. »

Bowie et son équipe assembleront ensuite une seule piste à partir des différentes prises consignées par leur cobaye. « Même si je ne les avais pas enregistrées de façon linéaire, j’ai dû plus tard apprendre à jouer les chansons comme sur le disque », se rappelle-t-il. Difficile ? « Je ne voudrais pas être quelqu’un d’autre qui doit essayer d’être moi. »

S’éduquer sans cesse

« Je me souviens d’avoir visité le Musée du Prado avec David », raconte Adrian Belew en évoquant la curiosité sans frontière de son ami, incapable de ne pas s’immerger avec ferveur dans un sujet qui l’emballait. « C’était comme si j’étais avec un vrai guide : il était même capable de me parler de l’impact de certains décrets papaux sur l’histoire de l’art. »

On dit souvent qu’il a été en mesure de se réinventer, et c’est précisément parce qu’il s’intéressait à plein de choses. Il s’éduquait sans cesse. Et c’est comme ça qu’il est parvenu à protéger son côté créatif, malgré son succès de masse.

Adrian Belew

Adrian Belew et David Bowie ont chacun repris leur chemin en septembre 1990, mais sont demeurés en contact, échangeant régulièrement des courriels (« David était très étonné d’apprendre que je jardine ») dans lesquels le chanteur s’enquérait des projets de son ancien collègue, qui lançait en juin dernier elevator, un 25e album solo enregistré de manière entièrement indépendante depuis sa résidence de Nashville.

Qu’est-ce que David Bowie avait de spécial ? « Tout chez lui était spécial. Il est la personne la plus singulière que j’ai rencontrée. C’est beaucoup grâce à lui si je continue de créer sans compromis et sans réfléchir au succès, parce que l’important, c’est d’être créatif. Il faisait partie de ceux qui devaient toujours inventer. »

Celebrating David Bowie, le 18 octobre à l’Olympia

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