Une autre réédition du premier album de Beau Dommage ? À l’approche de son 50e anniversaire, Universal souhaitait à nouveau, encore, pour la énième fois, le remettre en marché. « Les parallèles avec les Beatles vont s’arrêter là », jure Michel Rivard, qui ne tiendra pas sa promesse, « mais on s’est dit : “Tant qu’à faire, pourquoi ne pas retrouver les bandes originales et leur offrir le traitement Giles Martin, pour les rendre plus vivantes ?” »

Le traitement Giles Martin ? C’est que depuis 2015, le fils du défunt réalisateur George Martin restaure et clarifie le mixage de disques pourtant intouchables comme Abbey Road ou Revolver. Un exercice que l’on pourrait a priori croire parfaitement mercantile, mais devant lequel les audiophiles ont bien dû s’incliner, tant chacune de ces remises en valeur en a magnifié certains éléments sous-estimés, à commencer par le jeu de Ringo Starr.

Le batteur Réal Desrosiers est d’ailleurs sans doute celui qui bénéficie le plus du travail du mixeur Ghyslain Luc Lavigne. Jamais il n’a été aussi manifeste que Desrosiers avait bien étudié non seulement son Ringo, mais également son Hal Blaine, légendaire batteur californien de nombre de tubes des années 1960.

« Les performances de tout le monde étaient exceptionnelles. On leur a juste donné un peu plus de fesses », explique Lavigne, qui a dû reconstituer le mixage de 1974 à partir des rubans originaux de deux pouces, avant de le bonifier à l’aide d’outils qui, à l’époque, tenaient de la science-fiction.

  • Michel Rivard

    PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

    Michel Rivard

  • Marie Michèle Desrosiers

    PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

    Marie Michèle Desrosiers

  • Réal Desrosiers

    PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

    Réal Desrosiers

  • Le mixeur Ghyslain Luc Lavigne

    PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

    Le mixeur Ghyslain Luc Lavigne

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Une console ne comportait alors aucune mémoire ni automation, ce qui signifiait que le mixage devait être effectué en direct, d’un seul coup, à plusieurs mains. « Dans le solo de guitare du Géant Beaupré, à un moment donné, il y a une note qui part en écho, illustre Michel Rivard. Pendant qu’on la mixait, tout le long, j’étais concentré sur le piton écho, sur lequel je devais appuyer au bon moment, sinon, il fallait recommencer. »

La mélodie avant tout

Enregistré du 21 août au 9 septembre 1974 au Studio Tempo, situé avenue McGill College, à côté d’un Kresge dont le casse-croûte servait des hamburgers dont Réal Desrosiers parle avec des étoiles dans les yeux cinq décennies plus tard, le premier album de Beau Dommage est d’abord l’œuvre d’auteurs-compositeurs touchés par la grâce. Il témoigne aussi – ça saute encore plus aux oreilles avec cette édition remixée – du sens du hook de tous ses membres, y compris de sa redoutable section rythmique formée de Desrosiers et de Pierre Bertrand, qui parvenaient à faire chanter la batterie et la basse.

On est de l’école des Beatles et dans les grandes tounes des Beatles, tout le monde a une partition reconnaissable.

Michel Rivard

« Les solos de Harrison, tu pouvais les fredonner », ajoute Réal.

Fondé afin de procurer un destin au répertoire développé par Pierre Bertrand, Pierre Huet, Robert Léger et Michel Rivard – répertoire d’abord proposé à Donald Lautrec –, Beau Dommage aura bien sûr articulé son son autour de ses harmonies vocales.

« En fait, j’étais votre première fan », se rappelle Marie Michèle Desrosiers, qui traînait dans les mêmes partys que les gars et qui garde le souvenir précieux d’avoir entendu Robert Léger jouer Montréal, seul au piano, lors d’une fête au 6760, Saint-Vallier. « J’étais complètement à l’envers. »

Contrairement aux rééditions des Beatles, celle-ci de Beau Dommage ne compte aucune pépite exhumée des archives. Quand c’est l’matin et Disneyland ont vu le jour dans le coffret L’album de famille (2008), mais vous devrez vous imaginez comment sonnaient Psychologie, Léo Dion et La ville école de briques, dont il n’existe aucune trace. « Psychologie, c’était bon, ça », lance Michel. Le groupe répondant à des principes démocratiques, la chanson n’avait pas survécu à l’étape du vote.

Et un retour ?

S’ils savent pertinemment que cette réédition n’était pas tout à fait essentielle, les jeunes septuagénaires pouvaient donc difficilement dire non à une occasion de goûter au fruit, rendu encore plus juteux par Ghyslain Luc Lavigne, de leur « lourd passé ».

« Pendant qu’on peut avoir du fun, ayons-en, c’est de plus en plus quelque chose à laquelle je songe en vieillissant. J’ai hâte de ramener le vinyle à la maison et de l’écouter », confie le parolier Pierre Huet, à qui l’on doit la splendide idée d’une carte de Montréal, signée Réal Godbout, sur laquelle sont identifiés tous les lieux évoqués sur l’album.

Robert Léger n’était pas présent, mardi, pour rencontrer les journalistes, ni Pierre Bertrand, l’un soignant de petits bobos et l’autre quittant de moins en moins souvent sa campagne. Mais les six Beau Dommage – sept avec Michel Hinton qui s’est joint à la formation en 1976 – sont tous en bons termes, et certains d’entre eux se fréquentent encore régulièrement.

Mais il n’y aura plus de spectacle de Beau Dommage, ça, c’est certain, assure Michel Rivard. Réal Desrosiers apporte son bémol : « Si on peut se rendre au centième anniversaire, j’aimerais ça en faire un ! »

Beau Dommage (édition remixée à partir des bandes maîtresses originales)

Folk rock

Beau Dommage (édition remixée à partir des bandes maîtresses originales)

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