Porte-drapeau de la musique urbaine latine, Cruzito est finaliste à l’ADISQ pour la première fois cette année. L’artiste latino-québécois, qui a collaboré avec des stars mondiales du reggaeton comme Nicky Jam et R.K.M & Ken-Y, goûte enfin à la reconnaissance chez lui, 15 ans après ses débuts.

Le chanteur d’origine hondurienne nous reçoit à la Pizza Lagua dans le quartier Saint-Michel, à Montréal. C’est là, à l’angle de la rue Villeray et de la 18e Avenue, qu’il allait dîner au début des années 2000 lorsqu’il était à l’école secondaire Joseph-François-Perrault.

À l’époque, le reggaeton n’était pas aussi populaire qu’aujourd’hui au Québec. Cette fusion entre le dancehall et le rap résonnait déjà grâce au succès Gasolina de Daddy Yankee, mais Cruzito n’aurait pu prédire qu’il connaîtrait une telle expansion. « Des artistes qui faisaient des sous-sols d’église il y a 10 ans remplissent maintenant la Place Bell ou le Centre Bell », note Edi Cruz, de son vrai nom.

D’ailleurs, Cruzito se déplace régulièrement pour assister à des évènements de musique reggaeton. En septembre dernier, il est notamment allé voir le spectacle de Karol G au Centre Bell. Fait très intéressant : Karol G connaît l’artiste. Sur les réseaux sociaux, on peut effectivement trouver une reprise du succès Dime Que Sera de Cruzito interprétée par la superstar colombienne. L’extrait apparaît encore aujourd’hui sur le compte Instagram de Karol G, qui a 57,3 millions d’abonnés. La chanteuse lui a même laissé un commentaire sur ce réseau social. « Tes chansons sont légendaires », lui écrivait-elle déjà en 2014.

Du Québec à Porto Rico

Cruzito — nom d’artiste choisi en hommage à sa grand-mère, qui l’appelait Edito — publie ses premières maquettes sur le web alors qu’il fréquente l’école secondaire. Deux d’entre elles, Dime Que Sera et De Que Vale, se propagent sur des sites internet d’Amérique latine. La seconde tourne même à la radio. Dans la foulée, le fondateur de Pina Records (l’étiquette phare du reggaeton) le contacte. Le Montréalais s’envole vers Porto Rico en moins de deux et signe avec le label de Daddy Yankee — oui, oui, l’auteur de Despacito.

Cruzito participe à trois chansons de Masterpiece, le premier album des Portoricains Rakim et Ken-Y. Succès instantané, le disque aux sonorités pop, paru en 2006, change à tout jamais le visage du reggaeton.

Malgré ses succès, il se sépare de Pina Records. « Je me suis découragé trop vite », reconnaît-il aujourd’hui. Mais ses chansons, lancées à l’époque des blogues, des forums de discussion et des sites de piratage, ont laissé une marque en Amérique latine. À ce jour, sa page Spotify est toujours écoutée au Chili, au Pérou, au Mexique et en Colombie.

Du reggaeton à l’ADISQ

Aujourd’hui, Cruzito est bien campé chez Joy Ride Records (Loud, Connaisseur Ticaso), avec lequel il a fait paraître son premier album officiel, Lagrimas y Lambos, en 2021. C’est ce disque qui lui vaut, 15 ans après ses débuts, ses premières sélections à l’ADISQ. Cruzito est nommé dans deux catégories, soit celle du meilleur album de musique du monde et celle de la collaboration internationale de l’année (grâce à la chanson Como Ayer avec Ken-Y, son collaborateur de longue date).

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Cruzito

Selon Cruzito, le Québec commence à ressentir l’omniprésence de cette musique. « On doit la récompenser. Pour moi, on a déjà gagné. Avec du reggaeton ! Avec Ken-Y ! »

Le journaliste et recherchiste Antoine-Samuel Mauffette Alavo constate la popularité du genre au Québec. Spécialisé en musique urbaine, il affirme que les francophones adoptent de plus en plus le reggaeton comme « musique de fête ». « Ils ne comprennent pas les paroles, mais ils connaissent les chansons. Bad Bunny est la requête numéro 1 à tous les DJ. C’en est devenu un mème. »

Mais que pense la communauté hispanique des sélections de Cruzito ?

Je vais être honnête avec toi. Je pense que beaucoup de gens ne comprennent pas ce que l’ADISQ représente.

Cruzito

Même s’il écoutait Céline Dion et Les Cowboys fringants pendant son enfance, Edi Cruz regarde le gala surtout parce que Louis-José Houde, son humoriste « préféré de tous les temps », anime la soirée. « Il ne faut pas oublier mon parcours musical. J’ai lâché l’école pour aller à Porto Rico. Ma tête n’était pas au Québec ! »

Il croit qu’une partie de sa communauté éprouve un manque d’intérêt à suivre l’ADISQ. En attendant, il peut, au moins, la représenter.

Avec 75 900 abonnés sur TikTok, où il fait rire les Québécois avec ses vidéos, Cruzito a une bonne longueur d’avance pour faire parler de lui.