Cinq ans après sa création à Londres, Their Mortal Remains s’installe à Arsenal art contemporain

« C’est bien d’entrer au musée, mais je préfère encore faire de la musique ! »

Voix claire au bout du fil. Accent british. Conversation sympathique. Joint par téléphone sur la côte Ouest aux États-Unis, Nick Mason n’a rien de la rock star désabusée qu’on s’attendait à trouver. Au contraire. À 78 ans, le batteur de Pink Floyd semble plutôt content d’échanger avec le journaliste et ne se fait pas prier pour parler du groupe cultissime qui l’a fait connaître.

Il faut dire que la conversation tourne autour d’un sujet qui lui tient à cœur, soit l’exposition Their Mortal Remains, consacrée à Pink Floyd, qui débarque ce vendredi à Arsenal art contemporain de Montréal, cinq ans après son inauguration officielle au Victoria and Albert Museum, à Londres.

PHOTO JILL FURMANOVSKY, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Nick Mason’s Saucerful of Secrets en concert à Portsmouth en 2018

À cœur, parce que Mason s’est impliqué de très près dans le projet, au point d’en devenir le « consultant spécial ». Il a donné son avis sur une base régulière et fourni beaucoup d’articles personnels, comme les pages d’un journal de bord et de vieilles chemises à jabot de l’époque Ummagumma, apparemment retrouvées dans les boîtes à déguisements de ses petits-enfants ! En toute logique, il en est aussi devenu le porte-parole officiel.

Le batteur aurait-il la fibre muséale ? Il s’en défend. « Je ne suis pas comme Bill Wyman [des Rolling Stones], qui a tout consigné méticuleusement. Et je n’étais certainement pas assez intelligent à l’époque pour penser en termes historiques ou archivistiques. C’est simplement que j’avais gardé plus de boîtes que David [Gilmour] et Roger [Waters] ! »

Un lien spécial avec Montréal

À mi-chemin entre l’expo classique et l’expérience immersive, Their Mortal Remains retrace le parcours de la formation britannique, des années psychédéliques avec Syd Barrett jusqu’aux albums en trio des années 1990, en passant par la grande époque de Dark Side of the Moon, Wish You Were Here et The Wall, dominée par les névroses du bassiste Roger Waters.

On peut y voir des objets divers qui ont appartenu aux membres du groupe, des affiches, les guitares de David Gilmour, les claviers de Richard Wright, la bicyclette de Syd Barrett. On a recréé des ambiances, voire des décors de scène. On propose même des stations à caractère plus technique, qui donnent une vision totale du processus créatif de la formation. La musique, mais aussi le son, les éclairages, l’enregistrement et la conception de quelques célèbres pochettes d’albums.

PHOTO TONY GALE, ALAMY STOCK PHOTO

Nick Mason, Syd Barrett, Roger Waters et Richard Wright, de la mouture originale de Pink Floyd

Cet aspect de l’expo plaît particulièrement à Nick Mason, parce qu’il montre que « le groupe ne se résumait pas à ses musiciens ». Il impliquait aussi plusieurs collaborateurs (les graphistes Storm Thorgerson et Aubrey Powell, l’architecte Mark Fisher, etc.) sans qui l’univers floydien n’aurait pas été le même. Le batteur espère même que les postes plus interactifs, comme cette console simplifiée qui permet de remixer la chanson Money, inspireront certaines vocations.

Un détail, et non le moindre : la version montréalaise de Their Mortal Remains contient aussi une station qui n’était pas dans la version londonienne originale. Celle-ci est consacrée au lien singulier qui unit Pink Floyd au Québec et tout particulièrement au concert du 6 juillet 1977 au Stade olympique, au cours duquel Roger Waters, de plus en plus rebuté par le vedettariat, avait craché sur des spectateurs. L’incident est notoire puisqu’il serait devenu le point de départ de l’album The Wall.

PHOTO FOURNIE PAR COLUMBIA

Dave Gilmour, Nick Mason, Roger Waters et Richard Wright sur scène lors de leur tournée de 1977

Nick Mason s’en souvient très bien. Mais pour lui, il ne fait aucun doute que ce dérapage aurait pu arriver ailleurs. « Je crois que le problème de la déconnexion entre le public et les artistes de scène n’était pas unique à Montréal, dit-il. C’est un hasard que ce show en particulier ait été le catalyseur. Il aurait pu arriver dans n’importe quelle ville pendant cette tournée. »

Pas d’enthousiasme, pas de réunification

Their Mortal Remains est passée par Londres, Rome, Madrid, Dortmund, avant d’aboutir à Arsenal art contemporain. Une belle prise pour ce centre artistique du quartier Griffintown. D’autant que l’exposition est particulièrement compliquée à déménager et qu’elle ne devait pas être itinérante au départ.

« C’est aussi lourd qu’une expo permanente. En fait, c’est comme une expo permanente. Il y a beaucoup de coûts liés à la préparation », résume Guy Laforce, directeur d’Arsenal, en évoquant la dizaine de camions nécessaires au transport du matériel et l’armée de menuisiers responsables de son décor. M. Laforce souligne qu’une demi-douzaine de personnes sont venues expressément du Royaume-Uni pour encadrer le montage, notamment le graphiste Aubrey Powell, cofondateur d’Hipgnosis, l’agence derrière les pochettes du groupe.

  • Vue de l’exposition Their Mortal Remains lors de son inauguration au Victoria and Albert Museum à Londres en 2017

    PHOTO FOURNIE PAR ARSENAL ART CONTEMPORAIN

    Vue de l’exposition Their Mortal Remains lors de son inauguration au Victoria and Albert Museum à Londres en 2017

  • Vue de l’exposition Their Mortal Remains lors de son inauguration au Victoria and Albert Museum à Londres, en 2017

    PHOTO RUPERT TRUMAN, FOURNIE PAR ARSENAL ART CONTEMPORAIN

    Vue de l’exposition Their Mortal Remains lors de son inauguration au Victoria and Albert Museum à Londres, en 2017

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On peut évidemment s’interroger sur la « muséification » de Pink Floyd. La musique rock se veut par essence vivante et vibrante. Et c’est d’ailleurs pourquoi Nick Mason a décidé de ne pas s’arrêter à l’expo. Il y a six ans, il a fondé le groupe Saucerful of Secrets, qui interprète le répertoire floydien plus obscur des années 1969 à 1972. Le but de l’opération n’était pas tant de sauvegarder la musique du groupe, dit-il, que le « plaisir égoïste » de la jouer sur scène, et non derrière une vitrine.

Impossible, à ce stade, de ne pas lui poser la question à un million de livres sterling : Pink Floyd se reformera-t-il un jour, même sans Rick Wright, mort en 2008 ? Réponse courte : « Non, je ne pense pas. Cela m’intéresserait seulement s’il y avait un vrai enthousiasme, et je n’en vois toujours pas », dit-il. Référence implicite à David Gilmour et Roger Waters, les deux autres membres survivants de la formation, qui ne parviennent plus à s’entendre.

Reste l’œuvre, monumentale, qui n’a rien perdu de sa puissance et de sa pertinence. Alors qu’on s’apprête à célébrer les 50 ans du chef-d’œuvre The Dark Side of the Moon, sorti en mars 1973, Pink Floyd demeure un des rares groupes de son époque à tenir la route et conserver un minimum de sens, en cette époque particulièrement anxiogène.

« J’aimerais qu’on se souvienne de nous comme d’un groupe qui a bien fait son travail et fait du bien à beaucoup de gens, conclut Nick Mason. Je pense aussi que dans certains cas, nous avons fourni un vrai soutien à des gens qui étaient malheureux. »

« Voilà comment j’aimerais passer à la postérité… »

À Arsenal art contemporain du 4 novembre au 31 décembre

Consultez la page de l’exposition