Un critique hésite toujours à parler de perfection. Mais c’est bien ce à quoi les auditeurs de la salle Bourgie ont eu droit mardi soir avec les légendaires Tallis Scholars.

Il faut dire que le chœur de chambre britannique nous a habitués à l’excellence avec ses nombreux enregistrements réalisés sous son propre label, Gimell. Plusieurs sont devenus des références absolues.

Pour sa venue à Montréal, le chœur avait préparé un programme composé essentiellement d’œuvres du XVIe siècle consacrées à la Vierge, avec une brève incursion dans un répertoire plus contemporain.

Ensemble à géométrie variable, les Tallis Scholars étaient neuf (trois sopranos et les autres voix par deux) sur la scène de la salle Bourgie, en plus de Peter Phillips, leur chef de toujours qui a créé la formation à l’âge de 20 ans en 1973 !

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, LA PRESSE

Le chef Peter Phillips

Dès le premier accord de l’antienne Alma redemptoris mater de Roland de Lassus, qui inaugurait la soirée, tout est déjà en place. Nul besoin, comme pour de nombreux ensembles — vocaux ou non —, de prendre quelques minutes pour trouver ses marques.

Contrairement à de nombreux ensembles britanniques qui privilégient un son éthéré, parfois jusqu’à la caricature, les Tallis ont de la chair, sans en faire trop non plus.

Question de style, le vibrato est presque inexistant, l’expression étant réalisée davantage avec l’enflure du son.

Même si l’acoustique de l’ancienne église Erskine and American se révèle un peu sèche pour ce genre de répertoire habitué à résonner sous de hautes voûtes, le fondu des voix se fait constant durant la soirée, aidé par la direction autant minimaliste qu’expressive du chef attitré, qui fait la part belle à la continuité vocale. On entend toutes les consonnes, mais celles-ci s’insèrent toujours dans une ligne très soutenue.

Capables de puissance

La tension continue et grisante que crée Phillips jusqu’au mot « surrexit » (il est ressuscité) dans le magnifique motet Maria Magdalene et altera Maria de Francisco Guerrero est un des multiples exemples de l’art consommé des Tallis à donner sens à l’alliage du verbe et du son.

Les sopranos se distinguent également — entre autres dans le Guerrero susnommé — par la pureté de leur timbre, qui ne prend jamais le dessus. Le duo entre une des sopranos et une des altos dans l’Agnus Dei de la Messe Ave Maris Stella de Josquin des Prés révèle également la qualité des voix féminines individuelles. Le public n’ose presque plus respirer devant tant de beauté.

Mais on a davantage l’impression que ce sont les ténors qui sont l’épine dorsale de l’ensemble, en particulier avec la solide voix de Simon Wall.

S’ils sont capables de la plus grande douceur, comme dans l’Ave virgo sanctissima de Guerrero, les Tallis sont aussi capables de puissance, comme pour la vibrante fin du Virgencita d’Arvo Pärt (une pièce en espagnol composée il y a tout juste dix ans) et le monumental motet Virgo prudentissima d’Heinrich Isaac, qui terminait le concert.

Chic idée également de faire suivre l’Ave virgo de Guerrero par la réalisation très colorée du même texte par Matthew Martin, un compositeur britannique d’aujourd’hui. Le très bref et consonant Ave Maria de Stravinski constituait une brève oasis entre le Martin et le Pärt, remarquable par l’ambitus dynamique et vocal qu’il exige du chœur.

Le chœur a donné en rappel une autre antienne de Lassus, l’Ave regina coelorum, à la suite de laquelle le public, nombreux et enthousiaste, l’a judicieusement acclamé.