Yannick Nézet-Séguin avait dirigé la Messe en si mineur de Bach à huis clos en décembre 2020, un témoignage diffusé en direct sur l’internet. Le chef québécois a renouvelé l’expérience dimanche après-midi avec l’Orchestre Métropolitain, cette fois-ci avec une Maison symphonique bien remplie. Mais la déception attendait au détour.

Dès le tout premier accord du Kyrie initial, quelque chose cloche. On voit bien une quarantaine de chanteurs – tous professionnels – ouvrir la bouche, mais le son est tellement étouffé qu’on les croirait réduits à une dizaine.

Mais il y a pis. La justesse est tellement approximative qu’on croirait par moment Bach remplacé par Ligeti…

Quelqu’un – Nézet-Séguin ou le chef de chœur François A. Ouimet – a manifestement donné comme instruction aux choristes de retenir leur voix le plus possible dans les passages plus doux, avec un minimum de vibrato.

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Messe en si mineur à la Maison symphonique de Montréal

Mais un piano demande autant d’énergie – sinon plus – qu’un forte. Sinon le son s’étiole. Et le chanteur ne s’entend pas suffisamment pour contrôler son intonation.

Le problème est encore plus patent chez les sopranos, dont les aigus manquent d’espace pour s’épanouir (dans le Gloria, par exemple).

Certaines entrées pâtissent de cette inhibition vocale, en particulier quand un seul pupitre est placé sous le projecteur. On pense aux ténors dans le Sanctus à « pleni sunt caeli et terra ». On croirait entendre deux ou trois chanteurs perdus en arrière-scène alors qu’il s’agit d’un nouveau motif qu’il faut faire entendre de manière distincte.

Suppliant

Il semble, il est vrai, y avoir un désir, tout à fait louable au demeurant, de bien dessiner le texte, de faire entendre le rebond de la langue latine (ou grecque, dans le Kyrie). Mais cela ne doit pas se faire au détriment de la ligne. Il en est ainsi dans le second Kyrie, où l’accent sur chaque syllabe « ky » – et le bref decrescendo qui s’ensuit – finit par saucissonner indûment la ligne vocale.

Dans le premier Kyrie, la volonté de lier ostentatoirement par deux certaines notes aux voix (comme à l’orchestre) devient vite caricaturale. Nézet-Séguin cherche probablement à rendre la musique aussi suppliante que le texte, mais c’est nous qui avons bientôt envie que le supplice cesse… C’est bien l’affliction, mais on a l’impression de labourer un champ de roches, alors que la musique baroque reste avant tout question de danse, de légèreté, même dans les morceaux lents.

Il faudra attendre la fin du sixième numéro, le Gratias agimus tibi (et, plus tard, le Sanctus), pour avoir le sentiment d’une vraie masse chorale, et juste, pour le coup, car dans une nuance forte. Même si le problème initial reviendra dans le début du Credo et l’Et incarnatus est…

Musicalement, ce que fait le chef d’orchestre est par chance généralement intéressant, notamment le Crucifixus, qu’il fait assez allant, avec des violons impérieux, ou le Qui tollis peccata mundi, avec ses coups de boutoir aux cordes graves.

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Messe en si mineur à la Maison symphonique de Montréal

Et les solistes sont, du point de vue vocal, beaucoup plus satisfaisants que le chœur. Yannick Nézet-Séguin n’est pas allé chercher des baroqueux qui chantent à moitié. La basse saskatchewanaise Nathan Berg, en premier lieu, avec son Quoniam tu solus sanctus royal, mais aussi la soprano léger russo-américaine Erika Baikoff, qui se joue des difficultés du Laudamus te.

Entendue sur la même scène en septembre dernier dans la Symphonie n2 de Mahler avec l’Orchestre symphonique de Montréal et Rafael Payare, la mezzo-soprano écossaise Karen Cargill a livré un bouleversant Agnus Dei, avec un climax presque wagnérien.

Le ténor bavarois Werner Güra a pour sa part beaucoup mieux fait que dans la Passion selon saint Matthieu de l’OSM d’avril dernier, qui avait dû le trouver dans un mauvais soir. La voix est plus fine, plus « longue », bien qu’elle soit devenue à notre avis trop large pour ce genre de répertoire, même quand son « propriétaire » est dans sa meilleure forme, comme dimanche.

Hommage a été rendu, en début de concert, à Jean R. Dupré, PDG du Métropolitain partant pour une retraite méritée. Lui succède la Française Fabienne Voisin.