Peut-on changer le monde une aria à la fois ? C’est la question à laquelle tente de répondre la mezzo-soprano Joyce DiDonato dans son spectacle Eden, qui s’arrêtera à Montréal et à Québec dimanche et lundi.

Jointe à Santa Barbara, en Californie, une des nombreuses étapes de cette vaste tournée sur cinq continents qui a commencé l’été dernier, la mezzo-soprano vedette est intarissable sur son dernier rejeton, un spectacle immersif mis en scène par la Française Marie Lambert-Le Bihan avec John Torres aux éclairages.

« Le contraire de la guerre n’est pas la paix, mais la création » : c’est cette phrase du compositeur Jonathan Larson qui a mis le feu aux poudres. Une des rares artistes classiques à avoir un onglet « Militantisme » sur son site web, Joyce DiDonato n’en est pas à son premier projet engagé, s’étant déjà impliquée auprès de prisonniers, d’enfants défavorisés et de réfugiés syriens.

Son discours aux étudiants de la Juilliard School de New York en 2014 résume bien sa philosophie : « Vous êtes là pour servir le texte, le chef, la mélodie, l’auteur, la progression harmonique, le chorégraphe… Mais le plus important reste de servir l’humanité avec chaque respiration, chaque pas, chaque accord au clavier. »

Lien avec la nature

Dans Eden, c’est la nature, et par extension l’humain, qui en est partie intégrante, qui est au cœur des préoccupations de la chanteuse originaire du Kansas. Elle a approfondi son lien avec celle-ci durant la pandémie, qui lui a permis de replonger les mains dans la terre de son jardin.

Loin de vouloir jouer aux Cassandre, Joyce DiDonato veut davantage conscientiser positivement aux nombreux enjeux environnementaux (crise climatique, déconnexion avec la nature, etc.), méthode qu’elle trouve « plus efficace ».

« Je veux donner aux gens des outils et non parler constamment d’apocalypse, précise l’artiste. Il ne faut pas qu’on tombe dans le chemin facile du cynisme. »

Eden est à propos du climat, mais pas dans une optique de protestation. Davantage pour essayer de convaincre qu’il est possible de vivre dans une certaine abondance de manière durable.

Joyce DiDonato

Ceux qui viendront à Eden n’assisteront pas à un récital classique avec une chanteuse en robe de gala accompagnée d’un pianiste en queue-de-pie. Joyce DiDonato parle plutôt d’une « expérience scénique avec un récit ».

Il y a bien sûr tout l’habillage visuel (accessoires, costumes, éclairages…) et la présence de l’orchestre de chambre Il Pomo d’Oro, mais surtout le choix du répertoire, sélectionné avec grand soin. « Je n’apporte pas grand-chose de nouveau, concède la chanteuse. Les compositeurs et les poètes ont depuis longtemps écrit sur la nature et la volonté de se lier à elle. »

Les premières notes entendues seront celles de La question sans réponse d’Ives, arrangée pour voix et orchestre. « Je voulais commencer le concert avec quelque chose qui ouvrait d’emblée l’imagination et terminer avec « Ich bin der Welt abhanden gekommen » [des Rückert Lieder de Mahler], parce que je voulais qu’on arrive à quelque chose qui nous sort du monde matériel », résume la mezzo-soprano.

En chemin, les auditeurs entendront du relativement connu (la Danse des spectres et des furies de l’Orfeo de Gluck par exemple), mais surtout de nombreuses raretés de compositeurs de la Renaissance à nos jours, dont le Bohémien Josef Mysliveček, un contemporain de Mozart qui a composé un oratorio Adam et Ève, et une création de Rachel Portman, mais aussi du Cavalli, du Copland et bien d’autres.

Des chœurs d’ici

Dans chaque ville visitée, le spectacle collabore avec un chœur d’enfants, présent pour répondre à la mezzo-soprano dans une des pièces. Dans la métropole, 25e étape de la tournée, c’est le Chœur des enfants de Montréal qui sera mis à contribution. Le lendemain, à Québec, c’est la Maîtrise des petits chanteurs qui montera sur scène.

Cet aspect du spectacle est cher au cœur de Joyce DiDonato, qui le qualifie de « moyen de faire communauté ». Elle se rappelle notamment avec émotion un concert à Budapest où elle a chanté avec des enfants défavorisés, dont un soliste qui a terminé sa prestation en larmes. « La vie de cet enfant en a été changée, est-elle convaincue. Cela peut paraître cliché, mais quand une vie est affectée comme cela, le monde change. Car les enfants sentent la puissance de leur voix et peuvent ensuite faire partager cette force qu’ils ont en eux. Ils deviennent des flambeaux d’espoir. »

Eden est présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts dimanche, à 16 h, et au Palais Montcalm lundi, à 19 h 30, sous les auspices de Traquen’Art et du Club musical de Québec.