« Le but, c’est de surprendre », explique, sans surprise, l’homme à la barbe rousse répondant au pseudo VioleTT Pi, qui lance son troisième album, Baloney suicide. Quelque part entre Limp Bizkit et Gilles Deleuze, entretien avec un chanteur pour qui je est un autre.

« Si tu ne me comprends pas, tu me le dis, parce que souvent, je pars », prévient Karl Gagnon, un salutaire avertissement tant sa pensée, nourrie de musique et de philosophie, papillonne dans tous les sens, à l’image de ses chansons toutes en sinuosités et en embuscades, qu’un électrocardiogramme confondrait avec une attaque de tachycardie.

Le but, c’est que tout ce qui apparaît dans la chanson soit meilleur que ce qui vient avant. Il faut que ça s’escalade.

VioleTT Pi

L’entrevue classique au cours de laquelle un scribe demande à un auteur-compositeur de gloser autour des évènements intimes que camouflent ses paroles ? Ce n’est pas avec la fleur sauvage assise devant nous qu’elle aura lieu.

« Je est un autre », explique Karl au sujet de son œuvre, en reprenant à son compte la maxime de Rimbaud. La précision a de quoi rassurer, tellement l’idée d’en finir surgit souvent sur ce troisième album, Baloney suicide, le même titre que son recueil de poésie à la syntaxe furieusement patraque paru en 2019 à La Mèche.

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C’est donc non pas avec le désespoir au cœur, mais plutôt avec la fascination de celui qui aime les vastes questions, que le musicien se mesure ici à celle de la mort. « Deleuze disait que ce qui est intéressant avec les questions, ce n’est pas de leur donner des réponses, mais la manière dont on s’en sort », souligne-t-il en paraphrasant le philosophe français, Gilles de son prénom, dont l’œuvre charrie une réputation d’insondable abstraction.

C’est abstrait par exprès, Deleuze, et ça m’a beaucoup libéré ! Tout ce qu’il voulait, c’est créer des images et il y a dans ce désir de créer beaucoup d’espoir. Deleuze me donne des outils pour ma tête.

VioleTT Pi

Blague philosophique

Qui sont les protagonistes qui s’expriment dans les chansons de VioleTT Pi, ces garçons et ces filles aux abois qui emploient des formules chocs comme « Fais comme si tu aimais ton corps » ou « Je suis si laide que je veux mourir » ?

« J’en ai aucune idée », répond Karl en écarquillant les yeux, comme si la question était parfaitement absurde. Rare exception à ce parti pris pour la fiction : Butane, la plus étonnamment touchante des lettres d’un père à sa fille, à qui il répète de tout faire pour protéger sa flamme, son essence, « cours, Kiwi/car tu seras la seule/à sauver ton âme/cours loin de la bêtise/avant qu’elle n’arrive ».

Un petit sourire malicieux découpe le visage du papa de 35 ans. « C’est une chanson sur l’essence et je l’ai appelée Butane. » Il s’esclaffe comme d’autres riraient d’une joke de pet. « C’est ma meilleure blague philosophique ! »

360 degrés

Dans Le cigare au bord des lèvres, un certain Carl-Camille (le prénom de Karl dans l’univers romanesque de son frère Akim⁠1) assiste avec une joie purement extatique à un spectacle de Limp Bizkit, groupe phare de son adolescence granbyenne. Une scène que votre journaliste se rappelle avoir reçue comme la confirmation d’une intuition, la musique de VioleTT Pi ayant toujours refusé de gommer ses influences d’apparence moins noble, pour ne pas dire moins cool. Les soupçons de nu metal entendus dans eV (2016) et Manifeste contre la peur (2016) ? Ce n’était pas que dans nos oreilles.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Karl Gagnon, l’homme derrière VioleTT Pi

C’est ainsi en toute logique que Baloney suicide est à nouveau contaminé par un maelstrom de références hétéroclites, de la langueur très FM de Celui qui attend, aux cris gutturaux de Jeté au monde comme un trophée, jusqu’à la frénésie très Nintendo des couplets de Butane.

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« C’est comme dans La Matrice, quand la caméra fait un 360 autour des personnages », résume celui qui dit avoir souhaité « apparaître au complet », sous tous ses angles, à travers l’ensemble de l’album.

« Chu juste un phoney anyway », chante-t-il pourtant dans la pièce-titre de Baloney suicide, un aveu qu’il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre, Karl Gagnon étant du genre à dire une chose pour en exprimer une autre, à subvertir les idées reçues en les embrassant goulument.

Cette idée de vrai et de pas vrai que j’explore, je la vois comme un cliché, parce que ça ne change rien que tu portes un masque. Ton masque est peut-être plus révélateur que ton vrai visage.

VioleTT PI

Cet ennemi des fausses hiérarchies entre basse et haute culture se souvient comme si c’était hier du regard dédaigneux du disquaire au moment où il s’est procuré la réédition sur vinyle de Significant Other, le chef-d’œuvre de Limp Bizkit.

« Il m’avait totalement jugé et j’avais tellement trouvé ça drôle, parce qu’on s’en fout, non ? Tu te penses plus cool que moi ? OK. »

La sagesse, c’est peut-être de savoir que nous sommes tous le baloney de quelqu’un autre.

1. Voyez le photoreportage « Écrire, fumer, boire. Fumer, boire, écrire. », sur l’univers d’Akim Gagnon
Baloney suicide

Pop exploratoire

Baloney suicide

VioleTT Pi

L-A be