Vendredi soir, au Centre Bell, tout le monde, peu importe son âge, avait 15 ou 16 ans. Traduction : vendredi soir, Blink-182 était en ville à l’occasion de sa tournée marquant le retour au sein du groupe pop punk de son fondateur Tom DeLonge.

Des dizaines de milliers de confettis flottent au-dessus du parterre du Centre Bell. C’est le début du spectacle et Blink-182 vient de jouer la dernière note de Family Reunion, dans laquelle des hommes de 47 et 51 ans scandent les mots shit, piss, fuck, cunt, cocksucker, motherfucker, tits, fart, turd et twat. Une chanson d’un peu plus de 30 secondes ayant, dans l’œuvre du groupe californien, valeur de manifeste, de serment d’allégeance envers la puérilité et l’impertinence.

Début de soirée tout en contraste, donc. En lever de rideau, le trio interprétait Anthem, Pt. 2, une charge de Tom DeLonge contre l’oppression que les adultes font subir aux adolescents. La bonne nouvelle : nous étions désormais tous des adultes et nous pouvions tous obéir à nos propres règles, même si cela supposait, comme ça avait été le cas pour beaucoup des 17 000 spectateurs réunis au Centre Bell vendredi soir, d’investir une partie de l’argent destiné à l’épicerie dans une paire de billets.

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Blink-182 à Montréal

Le lieu était un peu plus vaste que le défunt Underworld d’Ahuntsic, là où Blink-182 présentait un spectacle en juillet 1996, mais la scène du Centre Bell préconisait vendredi une pareille proximité entre le bassiste Mark Hoppus, le guitariste Tom DeLonge et le batteur Travis Barker. « Montréal a embrassé Blink-182 dès le départ », s’est exclamé Mark après deux ou trois chansons, dans un hommage bien senti à la relation privilégiée que son groupe a nouée dès le milieu des années 1990 avec le Québec.

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Composé d’une moitié de titres tirés d’Enema of the State (1999) et de Take Off Your Pants and Jacket (2001), le répertoire de l’actuelle tournée du groupe ne pourrait être plus limpide quant à la nature du voyage auquel nous étions conviés.

Il s’agissait d’abord et avant tout, oui, d’un voyage dans le temps, bien qu’avec la nécessaire autodérision permettant à pareil exercice de ne pas trop sentir le renfermé.

Dans leurs échanges entre les chansons, Mark et Tom, deux virtuoses de la blague phallique, se moquaient ainsi allègrement de leurs propres performances musicales en leur attribuant, comme à l’école, de (piètres) notes en forme de lettres. Le grandiloquent Travis Barker, qui porte le groupe sur son maigre dos tatoué, ne méritait pour sa part rien de moins qu’un A+, en tout temps.

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Travis Barker

Avant Aliens Exist, Mark Hoppus a même gentiment raillé la fascination de son collègue DeLonge pour les objets volants non identifiés, auxquels il a consacré une troublante partie de son temps à l’écart de Blink-182.

La pertinence de l’impertinence

« Mesdames et messieurs, je vous présente Mark fuckin’Hoppus », lançait Tom DeLonge tôt dans le spectacle, ne laissant aucun doute sur l’authenticité de la réconciliation entre les deux musiciens fondateurs de Blink-182.

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Tom DeLonge

En juin 2021, Mark Hoppus avait révélé sur les réseaux sociaux être atteint d’un lymphome, dont il serait aujourd’hui, heureusement, débarrassé. C’est à la suite de cette annonce que Tom DeLonge a tendu la main à son partenaire, avec qui il s’était brouillé en 2015 à la suite d’une querelle dont la nature demeure à ce jour un peu mystérieuse.

Tom a-t-il donné sa démission ou s’est-il fait montrer la porte ? On ne le saura peut-être jamais et, de toute façon, l’essentiel se situe ailleurs : si compétent qu’ait été son remplaçant Matt Skiba, Blink-182 n’était tout simplement pas Blink-182 sans le plus emo de ses membres.

Le temps venu, à mi-parcours, de Stay Together for the Kids, une chanson coécrite par Mark et Tom au sujet du divorce de leurs parents respectifs, tout devenait clair.

Cette rare chanson purement triste et colérique de Blink-182, dans laquelle Mark se charge des couplets et Tom des refrains, incarne parfaitement ce que ce groupe a représenté pour tant de millénariaux : un refuge, loin des problèmes de la vie adulte, qui s’invitent toujours trop tôt dans celle des adolescents.

À partir d’I Miss You, une autre de leurs chansons plus sérieuses, les hits se sont succédé : Adam’s Song, What’s My Age Again ?, First Date, All the Small Things, puis Dammit, seul emprunt au passé plus purement punk du groupe.

Il serait aisé, presque attendu, de reprocher à Mark et Tom le manque de maturité de leurs interventions, mais vendredi soir, toutes ces blagues de pénis, tous ces « J’ai baisé ta mère », toutes ces mélodies ayant composé la trame sonore de la jeunesse de tant de trentenaires et de quadragénaires, contenaient une autre forme de sagesse : il faut parfois prendre des nouvelles de l’enfant nono qu’on a été. La pertinence de Blink-182 se situait, plus que jamais, dans sa parfaite impertinence.

« Il n’y a pas si longtemps, j’étais en chimiothérapie, et maintenant, je suis ici ce soir, à Montréal », confiait Mark Hoppus durant la partie plus douce de What’s My Age Again ?, un bref et émouvant aparté au sujet de la maladie qui l’a menacé de ne plus jamais pouvoir chanter ses puérils refrains sans âge.

Vendredi soir, Mark Hoppus était en vie, Blink-182 était en vie. Et l’adolescent en chacun de nous aussi.