Elle n’a pas remporté l’Eurovision samedi, mais La Zarra, chanteuse montréalaise représentant la France, a su convaincre bien des adorateurs du concours, déçus par sa défaite. À Montréal, La Presse s’est rendue au bar Champs pour assister aux côtés de fervents amateurs au visionnement de cet évènement haut en couleur, qui a couronné la Suède cette année.

« À l’Eurovision, il y a quelque chose de queer, quelque chose de camp, quelque chose de politique. C’est trop bien ! »

Le Champs, boulevard Saint-Laurent, est bondé. Nous sommes samedi après-midi et la finale de l’Eurovision, qui se déroule à Liverpool, va bientôt commencer. Mais avant, des drag queens se produisent sur scène, reprenant des chansons en lice pour le concours. Ça crie, ça chante et ça danse. La table est mise et l’on comprend en arrivant à l’établissement que l’après-midi sera rocambolesque.

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Des spectacles de drags étaient présentés avant le concours.

« Quelqu’un a décrit l’Eurovision comme les Olympiques pour les gais, et je suis complètement d’accord », nous a lancé Allison, en début de soirée. Avec ses amis, elle suit le concours chaque année depuis cinq ans, assistant à des visionnements au cabaret Mado ou en organisant des rassemblements à la maison.

L’ambiance restera survoltée jusqu’en début de soirée, au moment du couronnement de Loreen, la chanteuse représentant la Suède, qui avait déjà gagné le concours en 2012.

Un nuage de déception s’est toutefois installé au moment de la (très longue) cérémonie d’attribution des points. Il est vite devenu évident que la France, dont la Québécoise La Zarra portait les couleurs, ne pourrait pas atteindre le haut du classement, encore moins l’emporter. Les exclamations de surprise et de désapprobation ont résonné fort lorsque la maigre récolte de points de l’Hexagone a été annoncée. « Je vais m’énerver ! On n’est même pas dans le top 10 ! », a lancé Aris Djebbar, un Français de 25 ans, venu seul au Champs pour visionner la finale avec d’autres passionnés comme lui.

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Aris Djebbar (à gauche) durant la finale du concours Eurovision au Champs.

Sur une plateforme surélevée tout au long de sa performance, vêtue d’une somptueuse robe à paillette agencée à son bibi, La Zarra était montée sur scène la sixième. Elle a joliment interprété sa pièce Évidemment dans un décor sans grands artifices, contrairement à la grande majorité des autres participants, qui ont semblé vouloir en faire le plus possible. Après les jets de flammes concluant son numéro, la foule, à Liverpool comme au Champs, l’a acclamée.

L’artiste a dû tomber de haut en apprenant qu’elle ne finissait que 16e au classement. Il semble même qu’elle ait envoyé un doigt d’honneur vers la caméra lors de l’annonce de ses résultats. Les images la montrant faire le geste ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, certains trouvant le moment amusant ou à propos, d’autres reprochant à l’artiste d’avoir mal réagi.

Aimer l’Eurovision avec passion

L’Eurovision est l’évènement télévisé non sportif le plus regardé au monde. Parmi les près de 200 millions de téléspectateurs, une centaine s’étaient réunis au Champs afin de vivre ensemble leur passion pour ce spectacle de variétés sur stéroïdes. Lorsqu’on aime l’Eurovision, on l’aime intensément. Le concours est aussi kitsch qu’il est captivant.

L’auteure de ces lignes n’avait jamais visionné de finale de ce concours musical pourtant si populaire. Il n’a pas fallu longtemps avant que toutes les règles, un petit historique du concours et un CV de chaque participant ne nous soient communiqués par des passionnés rencontrés sur place.

Après quatre heures de finale, nous étions nous-même complètement investie dans la compétition, avec nos favoris et nos déceptions, et même une certaine fébrilité au moment de l’annonce des points.

Pourtant, au départ, nous n’y comprenions pas grand-chose. « Je suis une vraie encyclopédie ! », nous a lancé Aris Djebbar, après s’être gentiment approché en constatant que nous peinions à suivre.

Le jeune homme regarde le concours depuis qu’il a 12 ans. Né dans une famille plutôt conservatrice, il y a trouvé son « échappatoire ». « C’est extravagant, c’est musical et c’est queer », a-t-il dit lors d’une pause devant le bar, calculée en fonction des artistes qu’il apprécie le moins (car, fait surprenant, la finale est diffusée sans interruption). « Quand j’ai vu le concours pour la première fois, [la drag queen] Conchita Wurst représentait l’Autriche, a-t-il raconté. Mais parents [désapprouvaient], mais moi j’avais le regard ébahi et ç’a été comme une révélation. »

La Zarra et les autres

Quand Alessandra, ambassadrice de la Norvège, débarque sur scène dans son costume lui donnant l’air d’une déesse scandinave, on nous explique que son numéro, percutant, est « la quintessence de ce qu’est Eurovision ». Lorsque c’est le tour de la Belgique, le fabuleux chanteur Gustaph présente un numéro mettant en valeur la pop queer des années 1990, le voguing, l’excentricité. Une drag queen le rejoint pour un incroyable numéro de danse et le bar Champs est en délire.

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Michaël Pallier (à gauche) durant la finale du concours Eurovision

Michaël Pallier, un fervent amateur du concours, trouvait qu’il était encore plus intéressant de suivre son pays parce qu’une Québécoise le représentait.

Ça fait des années que je suis [l’Eurovision]. Je trouve que c’est un moment où chaque pays montre ce qu’il a de meilleur. On peut aussi voir les tendances. Et c’est bien de voir qu’une Québécoise représente la France, comme Natasha St-Pier l’a déjà fait ou comme Céline Dion a représenté la Suisse.

Michaël Pallier

Rappelons que les résidants d’un pays ne peuvent voter pour leur nation. La première partie des points du concours est attribuée par un jury de chaque pays ; le reste des points (qui peuvent faire basculer l’issue du vote) est attribué par le public. Pour la première fois cette année, le vote était ouvert à l’international. Au bar, plusieurs se sont tout de suite penchés sur leurs téléphones à l’ouverture du scrutin.

Le Britannique Hugo Sothcott, qui habite à Montréal depuis quatre ans, suit l’Eurovision depuis 27 ans. « C’est une vraie tradition annuelle dans ma vie, c’est tellement unifiant, nous a-t-il expliqué. Ça me fait sentir européen, et en tant qu’Anglais, il n’y a pas beaucoup d’occasions que ça arrive. Ici, il n’y a pas autant de gens qui connaissent l’Eurovision, mais on a toujours des évènements comme [celui au Champs] pour se rassembler. »

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Robert Jennings, directeur général du Champs

Le directeur général du Champs, Robert Jennings, espère d’ailleurs que l’évènement, présenté par la drag queen Psyberia, pourra devenir une tradition pour le bar. Toutes sortes d’évènements de la communauté queer se déroulent dans ce bar, racheté il y a quelques années, et dont la vocation s’est élargie pour en faire bien plus qu’un pub sportif.

« Les bars ne sont pas toujours des lieux où les gens de la communauté queer en général se sentent en sécurité, a expliqué Robert Jennings, rencontré devant son établissement. On a voulu avoir un endroit où c’était possible. Les gens savent qu’ils ont la tranquillité d’esprit pour pouvoir s’amuser sans risque. »

Les cris enthousiastes de la centaine de personnes réunies, comme pour appuyer son propos, nous parviennent jusqu’à l’extérieur et le font sourire. Pressée de retourner voir les prestations, nous remontons nous joindre au groupe. C’est donc ça, la fièvre de l’Eurovision.