C’est lui qui le dit. On n’est pas si certains. Mais ça dépend des goûts. Le musicien britannique de 74 ans est de passage à Victoriaville cette semaine. On lui a parlé.

Fred Frith, vous avez 24 doigts et vous avez enregistré plus de 400 albums. Êtes-vous un guitar hero ?

(silence, rires) Je ne sais même pas ce que ce terme veut dire. Je dois être un guitar hero pour quelqu’un. J’avoue que je ne passe pas beaucoup de temps à penser à ça ! Il y a deux millions de guitaristes qui jouent mieux que moi. Ce n’est pas difficile !

Ça fait 60 ans que vous jouez de la guitare. Avez-vous l’impression d’avoir fait le tour de cet instrument ?

Non. J’ai encore du travail à faire. Ce n’est jamais terminé parce que je travaille dans plusieurs contextes différents. Mon travail s’adapte toujours aux nouveaux contextes et aux personnes avec qui je joue.

Vous allez jouer pour la 15fois au Festival de musique actuelle de Victoriaville (FIMAV). Est-ce que c’est difficile de rester « actuel » quand on fait de la musique actuelle ? Le terme vous condamne-t-il à être toujours dans le renouvellement ?

Actuel, pas actuel, je ne sais pas du tout ce que ça veut dire en fin de compte. Comme disait le musicien québécois Jean Derome, que j’admire beaucoup : je m’en fous si la musique est nouvelle ou non. Ce qui est important, c’est que la musique soit vivante. S’ils veulent appeler ça le Festival de musique vivante de Victoriaville, ça me convient très bien aussi.

C’est quoi, pour vous, de la musique vivante ?

Vivante, c’est-à-dire que ce n’est pas mort ! Quand des gens font des imitations de ce qui est déjà fait, pour moi, ce n’est pas de la musique vivante. Dans les écoles de musique où on apprend le jazz, tu apprends à jouer comme les gens il y a 60 ans. Ce n’est pas vivant. Il faut trouver sa propre voix.

Vous avez vous-même enseigné dans une école de musique, en Californie. Qu’avez-vous essayé de transmettre à vos étudiants ?

Que si tu ne fais pas d’erreurs, tu perds beaucoup de temps. Il faut être capable de faire des erreurs. On apprend avec ses échecs, pas ses succès. J’encourage mes étudiants à apprendre de ce qui ne fonctionne pas pour que ça fonctionne mieux la prochaine fois. Quand je parle d’erreurs, je ne parle pas de technique guitaristique, je parle d’ambitions. Ne pas avoir peur d’essayer des trucs ambitieux pour comprendre ce qui va fonctionner ou pas. Si tu n’as pas de grosses ambitions, tes erreurs seront plus petites.

Vous avez récemment confié à un journaliste français que dans l’esprit, vous étiez un musicien folk. Que vouliez-vous dire par là ?

Je ne sais pas dans quel contexte j’ai dit ça. Mais dans les années 1960, mes premiers concerts ont eu lieu dans des clubs folk en Grande-Bretagne. C’était une atmosphère complètement accueillante. N’importe qui pouvait prendre une guitare ou un violon. C’est dans cette atmosphère que j’ai appris à jouer avec les gens. Je ressentais un encouragement. Aujourd’hui, je veux être aussi encourageant pour les gens qui écoutent. J’aime bien faire un concert où la porte est ouverte. Que les gens entrent pour voir où on va.

Cela dit, votre musique n’est pas considérée comme facile d’accès. Beaucoup de gens ont encore peur de la musique improvisée…

Il y a plein de clichés sur la difficulté de cette musique. Mais si on joue devant des gens qui n’ont pas de préjugés, ils écoutent ce que tu proposes. Et si tu proposes quelque chose qui les invite, je pense que c’est absolument possible d’apprécier et de voyager avec nous. On ne sait pas où on va, et on s’en fout !

Pour votre spectacle à Victo, à quoi s’attendre ?

Ce spectacle est un trio improvisé de rock guitare, basse, batterie. Il y aura aussi Heike Liss qui fera des visuels en direct et Susana Santos Silva à la trompette. On a déjà tourné ensemble il y a quatre ans. Susana est une musicienne très douée, elle peut tout faire avec son instrument. On a aussi fait des trucs en duo. On a un album qui vient tout juste de sortir (Laying Demons to Rest, étiquette RogueArt).

Vous avez 74 ans. Vous avez pris votre retraite de l’enseignement en 2018. À quand votre retraite de la musique ?

Jamais. Je compte jouer jusqu’à la fin ! Par contre, je suis dans une grosse opération de death cleaning en ce moment. Je règle tous les trucs dont je ne veux pas que mes enfants héritent après ma mort. Quand on fait ça, on laisse moins de merde derrière soi ! Cela dit, je n’ai pas l’intention de mourir bientôt. Je dois encore m’améliorer…

Fred Frith Trio avec Susana Santos Silva et Heike Liss. Première canadienne. Vendredi 19 mai au Carré 150 (Salle F. Lemaire) à 22 h.

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