L’auteur-compositeur-interprète François Guy, auteur de l’hymne Québécois, est mort dans la nuit de vendredi dernier.

Parfois, cela ne tient qu’à un fil. Et pour François Guy, le fil vient de se casser.

L’auteur compositeur-interprète est mort vendredi d’une chute accidentelle dans son chalet de Labelle. Le journaliste du Devoir Sylvain Cormier a annoncé la mauvaise nouvelle lundi sur sa page Facebook, à la demande d’Isabelle Lajeunesse, compagne du chanteur depuis 40 ans.

« Cinq minutes avant, il chantait », confie-t-elle.

François Guy, 76 ans, n’était certes plus au premier plan. Il travaillait discrètement pour la relève, concoctant de temps à autre de nouveaux morceaux, qu’il rendait disponibles sur le site Bandcamp. Mais on ne peut nier qu’il a laissé son empreinte dans le grand livre de la chanson québécoise.

« Son œuvre est importante, résume Sébastien Desrosiers, historien du rock et codirecteur de la maison de disques Trésor national. C’était aussi le premier punk du Québec. »

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Les Sinners Arthur Cossette, Louis Parizeau, George Marchand et François Guy en 1968

Punk ? Le terme n’est pas exagéré. Avec le batteur Louis Parizeau et le bassiste Charles Linton, François Guy fut à l’origine du groupe Les Sinners, qui a fait la pluie et le beau temps sur la scène rock locale de la deuxième moitié des années 1960.

La formation, connue pour ses frasques, n’était peut-être pas la plus brillante musicalement. D’ailleurs, son seul tube a été une reprise des Beatles (Penny Lane) et non une de ses nombreuses créations. Mais elle a bousculé l’ordre établi et permis au rock québécois de se décomplexer, quelques années avant Robert Charlebois.

Voyez la vidéo de la chanson Penny Lane

« Les gens nous payaient pour se faire insulter », se souvient Charles Prévost-Linton, l’un des Sinners originaux, qui deviendra plus tard chanteur lyrique et interprète de l’hymne national pour les matchs du Canadien.

À l’époque, les Sinners sont perçus comme une simple boutade psychédélique. L’expression musicale d’une jeunesse je-m’en-foutiste, que François Guy incarne d’ailleurs très bien dans le film Kid Sentiment, de Jacques Godbout, lancé en 1968.

Mais la légende du groupe ne cessera de grandir, au point où sa réputation dépasse aujourd’hui les frontières du Québec, du moins pour les collectionneurs et amateurs de rock garage. « Au Japon, nos vieux disques se vendent une fortune », souligne Charles Prévost-Linton, mi-étonné, mi-amusé.

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Le disque La Révolution française, vol. 2

Pour Sébastien Desrosiers, il ne faut pas minimiser l’apport de cette formation culte, qui fut pionnière sur plus d’un plan. « Ils ont été le premier groupe québécois à jouer dans le Grand Nord [Frobisher Bay], les premiers à enregistrer un album concept [Vox Populi] et les premiers à faire une chanson sur le LSD [L.S.D. Ha ! Ha !]. Dans ce sens-là, on peut dire que François Guy a été un trend setter », dit-il.

C’est pourtant avec son groupe suivant, La Révolution française, que le chanteur va connaître son plus gros succès. En 1969, il grave le morceau Québécois (nous sommes Québécoâ-aaaah !), sur une musique d’Angelo Finaldi. La chanson devient l’hymne de la génération hippie souverainiste, et restera un cri de ralliement pour l’indépendance pendant de nombreuses années. Ironiquement, elle avait d’abord été écrite en anglais, sous le titre Americas…

En solo

François Guy se lance ensuite en solitaire, un format qui sied peut-être mieux à sa « personnalité complexe et pas toujours facile », confie Charles Prévost-Linton avec bienveillance. Période faste pendant laquelle il enregistre une poignée d’albums, une quantité impressionnante de 45 tours et signe même une chanson (Take me) qui sera reprise par Joe Dassin sous le titre C’est du mélo.

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Les tubes se font plus rares, mais le chanteur reste dans le paysage radiophonique, avec ses chansons de type folk rock-pop aux mélodies bien dessinées. Puis il produit une série de revues musicales, dont Circociel (1976), ainsi que Tout chaud, tout show (1975) et L’Île en ville (1978), qui révéleront la chanteuse Marjo.

« Il y avait cette même vivacité d’esprit, de belles trouvailles, de petites perles », résume l’ancien parolier de Beau Dommage Pierre Huet, qui le décrit par ailleurs comme un « paresseux qui travaillait beaucoup » et un « éternel nonchalant, toujours un peu baveux, comme Jacques Dutronc ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Photo prise en novembre 2016 dans le cadre d’un reportage sur le groupe Les Vieux Criss, dans lequel François Guy était impliqué avec Louise Forestier, Michel Le Francois et France Castel.

Dans les années 1980 et 1990, il prend un pas de recul pour se consacrer à la production théâtrale, avec sa compagne Isabelle Lajeunesse, fille de Janette Bertrand et Jean Lajeunesse. Il écrit aussi pour une flopée d’artistes comme Véronique Béliveau, Gildor Roy, Chloé Sainte-Marie et Francine Raymond (Y’a les mots). Entre 2000 et 2014, il devient directeur du concours Ma Première Place des Arts, qui révélera entre autres Nicola Ciccone, Ima et Alexandre Désilets. Puis il revient au premier plan en 2010 avec un nouvel album (Je préfère le bonheur) et en 2018 avec un nouveau groupe, Les Vieux Criss. Sauf erreur, ses derniers projets officiels.

« Ce n’était pas un nostalgique. C’était difficile de le faire parler de sa carrière d’antan », observe Sébastien Desrosiers, avec une pointe de regret. Même si les Sinners sont restés dans l’inconscient rock’n’roll du Québec, François Guy préférait se consacrer au présent, qui l’occupait amplement. Ici et maintenant.

Seulement dommage que son œuvre des années 1970 n’ait pas été rééditée. « Il y a assez de stock pour au moins trois compilations, conclut l’historien. Ça permettrait de le redécouvrir… »