« C’est comme si Montréal m’avait pris dans ses bras », se rappelle Alan Prater au sujet de son arrivée dans la métropole, en 1991. Rencontre avec le Floridien, qui a déjà accompagné la famille Jackson, de loin le chanteur le plus heureux en ville.

À sa deuxième année d’université, Alan Prater choisit de s’investir aussi, le soir, dans un autre type d’école, celle des clubs de R’n’B et de soul bordant la plage de Jacksonville, sa ville natale. Mais afin de subvenir à ses besoins, le tromboniste doit également se river à un bureau, le jour, dans une succursale de la Blue Cross Blue Shield Association, une compagnie d’assurances.

« Un jour, ma mère est venue me voir au travail et j’étais tellement exténué que je dormais », raconte, en anglais, le musicien rencontré dans le petit studio qu’il s’est aménagé chez lui, à Lachine. « Ma mère m’avait dit qu’il était temps que je laisse tomber une des deux choses, les clubs ou les assurances. Et je pense qu’elle s’imaginait que j’allais laisser tomber les clubs. Le lendemain, je ne me suis juste pas présenté à la compagnie d’assurances. »

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Alan Prater, dans son domicile, à Lachine

Pour le neveu de Dave Prater du légendaire duo Sam & Dave (Hold On ! I’m Coming), et fils d’un chanteur de gospel, la musique a toujours conservé un caractère sacré, même celle qui ne louange pas explicitement le créateur.

Alan Prater a beaucoup bourlingué, et n’a pas toujours pratiqué son métier dans des conditions princières, mais sur scène, celui qui chante au sein de la formation funk The Brooks et qui prête son organe vocal béni des dieux à Valaire affiche immanquablement le sourire d’un gamin.

Dans quel état d’esprit se trouve-t-il, pendant un spectacle ? « C’est au-delà d’un état d’esprit », répond-il.

C’est comme le paradis. C’est comme être là où tu as toujours souhaité être. C’est être quelque part loin du monde physique.

Alan Prater

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Alan Prater

Avec les Jackson

Au début des années 1980, Alan Prater accompagne, avec ses collègues des East Coast Horns, la chanteuse R’n’B Millie Jackson. Lorsqu’il entend de la bouche d’un membre de son équipe que Michael Jackson et ses frères (aucun lien de parenté avec Millie) sont à la recherche d’une section de cuivres pour une tournée, le tromboniste déploie toute sa force de persuasion afin d’obtenir une audition.

Mais l’acolyte de Millie Jackson, préférant ne pas refiler ses employés à la concurrence, refuse catégoriquement de l’aider. À force d’insister, Alan finit par apprendre que les Memphis Horns (Otis Redding, Al Green, Elvis Presley) sont de la course. Alan envoie donc une lettre factice aux Memphis Horns afin de leur annoncer que leur audition a été annulée.

Puis il se pointe avec ses amis, à Los Angeles, à la porte des Jackson, où la matriarche Jacqueline les accueille, et où ils se font passer pour les Memphis Horns. Ils obtiendront le contrat sur-le-champ.

« Les Jackson ont appris très rapidement qu’on n’était pas les Memphis Horns », poursuit Alan en avalant un des morceaux de fruits gentiment déposés devant nous par son amoureuse, Lorraine. « Ils nous ont dit : “On se fout de qui vous êtes. Vous êtes maintenant la section de cuivres des Jackson.” » Prater participe en 1981 à la tournée Triumph, immortalisée sur l’album The Jacksons Live !.

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Le spectacle de Valaire – avec Alan Prater – le 14 juillet 2021

Sa ville à lui

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, Alan Prater sillonne au sein de la formation Tranzit le circuit des bars-spectacles des États-Unis et du Québec – le Checkers, à l’angle de Parc et Mont-Royal a longtemps été le point de chute montréalais du groupe.

Mais las d’occuper un rôle de soutien, et non de premier plan, Alan choisit au début des années 1990 de troquer pour de bon son trombone pour le micro de chanteur, et de repartir à zéro, à Londres.

Avant de voler jusqu’en Angleterre, l’Américain accepte de rendre visite à un ami à Montréal, qu’il ne quittera plus, une escapade de quelques jours qui dure encore.

Lorraine, compagne d’Alan depuis plus de trois décennies, une Québécoise francophone, se faufile discrètement dans la pièce afin de s’enquérir de l’état de notre assiette de fruits et voler un baiser à son homme. « Là, tu vois pourquoi je suis resté ici », s’exclame-t-il, les pupilles dilatées comme un ado qui viendrait de recevoir son premier bécot.

Après avoir beaucoup galéré et enregistré en 2002 un disque en solo sous le pseudo A. K. A. Soulo (Confessions, qui lui a permis d’être inclus sur la compilation The Soul Mixtape de DJ Jazzy Jeff), Prater trouvera en assistant à un spectacle de The Brooks au Dièse Onze quelque chose comme une famille. Quand le batteur Maxime Bellavance lui envoie les pièces instrumentales devant composer le premier album du groupe, Alan ne peut se retenir d’y imprimer sa voix, ce qui donnera en 2014 Adult Entertainment.

Quel âge a Alan Prater ? « Ce n’est pas important, man », lance-t-il. Lorraine nous fait la grâce d’un indice. « Disons qu’il pourrait être le père des gars de Valaire », dit-elle avec un clin d’œil au sujet de l’autre famille d’adoption de son mari, dont les membres ont la mi-trentaine. « Mais il est encore capable de suivre les jeunes et de leur montrer le chemin. Et il a tellement une belle âme. Je suis sûr que tu le sens. »

Avec Valaire, le 30 juin, scène Rio Tinto, à 20 h et avec The Brooks, le 8 juillet, scène Rio Tinto, à 20 h

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