Fille spirituelle d’Alice Coltrane et de Dorothy Ashby, Brandee Younger ramène la harpe jazz au cœur du groove.

La harpe n’est pas un instrument qu’on associe spontanément au jazz. Mais quelques musiciens – et surtout musiciennes – en ont fait une spécialité.

C’est le cas de Brandee Younger, qui se produit ce dimanche soir, gratuitement, au Festival international de jazz de Montréal.

À 39 ans, cette musicienne américaine a déjà sept albums à son actif. Depuis ses débuts discographiques en 2011, on l’a vue aux côtés des saxophonistes Kenny Garrett et Ravi Coltrane, du batteur Jack DeJohnette, mais aussi du rappeur Common et des chanteurs de R&B Lauryn Hill et John Legend.

Ces collaborations variées témoignent de son propre éclectisme. Car Brandee Younger n’est pas une puriste du jazz. Loin de là. Sa musique est plutôt une sorte de fusion entre ses influences multiples (musique classique, pop, funk, soul) et la tradition de la harpe groove, établie il y a plus de 60 ans par Dorothy Ashby et Alice Coltrane.

Extrait de Hortense, de Brandee Younger

Ces deux noms sont incontournables quand il est question de harpe dans le jazz. Et Brandee Younger revendique complètement leur influence : « Alice était plus spirituelle. Dorothy, plus directe. Quand je les ai entendues pour la première fois, je me suis dit : voilà exactement ce que je veux faire. »

Évoluer avec ses modèles

Pas évident de trouver son propre style quand on a des modèles aussi dominants. Ashby et Coltrane ont littéralement inventé l’alphabet du genre. La musicienne en est consciente. Mais elle sait aussi que sa fusion musicale la distingue de ses prédécesseures. « J’ai développé mon propre son », dit-elle.

  • A Monastic Trio, d’Alice Coltrane

    IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON DE DISQUES

    A Monastic Trio, d’Alice Coltrane

  • Hip Harp, de Dorothy Ashby

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    Hip Harp, de Dorothy Ashby

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Elle n’a aucune intention, du reste, de renier ses deux modèles, même si Coltrane et Ashby sont depuis quelque temps redevenues à la mode, après avoir été redécouvertes par de nouvelles générations de mélomanes.

Au contraire.

Ça me fait rire quand les gens me demandent si j’en ai marre d’être comparée à elles. Depuis que je les connais, je fais des détours pour promouvoir leur travail. Elles sont célébrées aujourd’hui, mais quand j’ai commencé, elles n’étaient reconnues ni par le monde du jazz ni par celui de la harpe. J’ai toujours senti que je devais les inclure dans mes performances.

Brandee Younger, à propos d’Alice Coltrane et de Dorothy Ashby

Cette révérence se poursuit encore aujourd’hui. Sur son dernier album, Brand New Life (2021), Brandee Younger reprend exclusivement des compositions de Dorothy Ashby (1932-1986). Logique. Car si Alice Coltrane (1937-2007) fut responsable de son éveil à la harpe jazz – et qu’elle continue de lui rendre hommage sur scène –, elle est peut-être plus proche instinctivement de Dorothy Ashby, en raison de son accessible mélange de styles.

« J’aime effacer les étiquettes parce que ma musique est hybride, explique-t-elle. Quand j’écris ou que j’enregistre, je ne pense pas en termes de genres. C’était pareil pour Dorothy Ashby, qui n’hésitait pas à reprendre des tubes du moment ou des musiques de film », dit-elle.

Son concert montréalais sera ainsi consacré à Mme Ashby, avec détours par Mme Coltrane et ses propres compositions. Brandee Younger sera en trio, accompagnée d’un bassiste (Rashaan Carter), d’un batteur (Allan Mednard) et d’un appareillage de deux micros pour amplifier sa harpe. On est curieux de voir son improbable instrument sur scène, avec ses cascades de notes angéliques livrées en mode groove.

Une chose est certaine : ça ne peut pas être moche.

Au Studio TD ce dimanche soir, 22 h. Gratuit.