La nouvelle édition du Festival de Lanaudière a été inaugurée cette fin de semaine avec deux concerts de l’Orchestre symphonique de Montréal et son chef Rafael Payare avec une météo idéale et un programme qui avait tout pour charmer les festivaliers.

Après trois éditions inaugurées avec Mahler, le Festival de Lanaudière a jeté son dévolu sur la Neuvième de Beethoven, que le Festival n’avait pas programmée depuis 2007, mais que l’Orchestre symphonique de Montréal avait donnée à la Maison symphonique pas plus tard qu’au printemps 2022.

La popularité de l’évènement a compliqué la vie des festivaliers, le boulevard où se trouve le site étant encore fortement congestionné au moment où devaient se faire entendre les premières notes. De nombreux mélomanes ont par conséquent regagné leur siège en retard, malgré le fait que le début du concert avait été décalé de dix minutes.

D’où un certain brouhaha condamnant le Lux æterna de Ligeti (c’est son centenaire de naissance), l’« antipasto » précédant le plat de résistance, à ne pas être goûté à sa juste valeur. Si l’association des deux œuvres aurait été fort à propos à la Maison symphonique, par exemple, l’exécution d’une partition aussi fine par 16 choristes a cappella dans un immense amphithéâtre extérieur n’est de toute façon peut-être pas idéale.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Les amateurs étaient au rendez-vous pour assister à la première interprétation en 16 ans de la Neuvième de Beethoven au Festival de Lanaudière.

Une Neuvième de Beethoven dans de telles conditions produit au contraire un effet bœuf, ce que n’a pas manqué de souligner le public, qui a acclamé l’orchestre après chaque mouvement, et même après la première intervention du chœur dans le finale, couvrant en partie le passage « alla marcia » pianissimo précédant l’entrée du ténor solo.

La Neuvième de Payare a très bien commencé, avec un premier mouvement pris à bras-le-corps. Il n’est certes pas inintéressant de faire ce mouvement (allegro ma non troppo, un poco maestoso) plus lent, plus hiératique, ce que font de nombreux chefs, mais on s’éloigne de l’esprit d’un allegro. Cela, Payare l’a très bien compris, lui qui relance constamment le propos, donnant au tout une irrésistible théâtralité.

Le scherzo (molto vivace) se situe dans la même lignée, même si le thème principal aurait pu avoir un degré supplémentaire d’urgence.

Rythme effréné

Le mouvement lent nous a cependant davantage laissé sur notre faim. Beethoven précise adagio molto e cantabile (très lent et chantant). Ce que fait Payare est indubitablement chantant, mais la grande lenteur demandée, ce sentiment d’infini et d’immobilité auquel atteignent certains chefs, est difficile à percevoir.

De surcroît, le chef va nettement plus vite que l’indication métronomique du compositeur (environ 70 à la noire au lieu de 60). On a l’impression qu’il dirige à deux temps plutôt qu’à quatre. D’où une désagréable atmosphère d’insouciance, pour ne pas dire d’insignifiance.

Comme à la Maison symphonique il y a un an, le premier énoncé du fameux thème principal du finale est à notre sens trop vif, le chef brûlant en quelque sorte trop tôt ses munitions en ne ménageant guère de suspense. Ce côté volontaire allait toutefois donner au reste du mouvement une redoutable énergie.

Des solistes, on apprécie surtout la soprano allemande Vera-Lotte Boecker, aux aigus d’airain. Comme d’habitude dans cette œuvre, il est difficile de juger de ce que fait la mezzo-soprano (ici la Britanno-Singapourienne Fleur Barron), qui fait essentiellement du remplissage.

Le baryton-basse anglo-canadien Gordon Bintner fait montre d’une grande finesse, malgré le ratage de son fa dièse aigu, alors qu’on aurait préféré une voix plus claironnante que celle du ténor allemand Julian Prégardien, pourtant remarquable évangéliste de la Passion selon saint Matthieu à l’OSM l’an dernier.

Dans ses retranchements

La formation était de retour avec Payare samedi après-midi devant une assistance beaucoup plus clairsemée, mais on ne peut plus attentive. Le programme de musique d’Europe de l’Est comprenait les débuts québécois du pianiste russe Denis Kojoukhine dans le Concerto no 2 en do mineur de Rachmaninov.

Le grand blond de 37 ans, vainqueur des concours de Leeds et Reine-Élisabeth, se lance dans cette œuvre maîtresse du répertoire pianistique avec une impressionnante assurance, ses doigts enfonçant les touches du grand Yamaha avec solidité, mais sans dureté. Éminemment expressif, il n’hésite pas à détendre légèrement le tempo pour le second thème, en mi bémol majeur au piano seul.

Son sens du cantabile est encore plus mis à profit dans le mouvement lent, malgré un chef qui a tendance à vouloir peut-être un peu trop avancer. On sent néanmoins Kojoukhine parfois à la limite de ses moyens dans l’exigeant finale.

En guise de rappel, le pianiste interprète À l’église, de l’Album pour les enfants, opus 39, de Tchaïkovski, une œuvre d’une émouvante sobriété.

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Les musiciens de l’OSM saluent les festivaliers après leur performance.

Rafael Payare a pour sa part fait un sans-faute dans les deux partitions pour orchestre, La Moldau de Smetana, avec des cordes sublimes, et le redoutable Concerto pour orchestre de Bartók, qui pousse tout orchestre dans ses retranchements.

Nous avons rarement entendu cette dernière œuvre aussi pétillante de vie, aussi maîtrisée dans tous les détails. Le chef semble s’y amuser comme un petit fou. Pas étonnant que l’orchestre ait d’abord refusé de se lever durant les applaudissements afin de rendre au maître d’œuvre tous les honneurs qui lui étaient dus.

On retrouvera Denis Kojoukhine en solo ce lundi (20 h) à l’église Saint-Norbert dans un programme Schubert et Liszt.

Les frais d’hébergement ont été payés par le Festival de Lanaudière, qui n’a exercé aucun droit de regard sur le contenu de ce reportage.