Ce n’est pas tous les jours qu’on assiste à un concert dans un monastère bénédictin. Ce n’est pas non plus tous les jours qu’on vit un moment de grâce comme le concert du Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM) de samedi après-midi donné dans le cadre du Festival Orford Musique.

L’église abbatiale du monastère de Saint-Benoît-du-Lac, joyau architectural serti au creux des deux branches septentrionales du lac Memphrémagog, en Estrie, compte quelque 400 places, qui étaient toutes occupées. Pas pour entendre le chant immémorial des moines, mais celui de dix chanteurs professionnels triés sur le volet « pour la pureté et la clarté de leurs voix », comme le spécifiait le programme, qui ne donnait malheureusement pas les noms de ces véritables athlètes du chant.

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Le chef du Studio de musique ancienne de Montréal, Andrew McAnerney

Disposés en demi-cercle à l’entrée du chœur des religieux devant leur chef Andrew McAnerney, ils ont proposé un florilège de pièces de la Renaissance (entre les années 1460 et 1560 dans ce cas-ci) ayant comme point commun de commémorer la disparition de grandes figures musicales de l’époque.

On a ainsi deux hommages – des Flamands Benedictus Appenzeller et Hieronymus Vinders – à Josquin des Prés, qui avait fait pareillement pour Ockeghem, et ce dernier pour Binchois…

Le titre du concert (Douce mémoire) est lui-même inspiré d’une chanson célèbre de Pierre Sandrin, qui a inspiré une messe complète à Cipriano de Rore (on appelle cela une messe parodie), qui est venue clore le concert.

Il n’aurait pas été inutile d’avoir quelques notes explicatives afin de mieux comprendre le contexte de composition des œuvres au programme, dont le texte, en latin, français ou italien, avait heureusement été reproduit. Cela n’a pas empêché le public de goûter – religieusement – les 90 minutes de musique, qui comprenaient également quatre courts motets de la Torontoise Stephanie Martin en l’honneur de Healey Willan, père de la musique classique anglo-canadienne.

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L’église abbatiale du monastère de Saint-Benoît-du-Lac

Pas moyen de faire autrement avec l’acoustique idéale de la magnifique église dessinée il y a 30 ans par le Montréalais Dan Hanganu. Même assis près des chanteurs comme nous l’étions, les voix se mariaient idéalement entre elles, sans enlever l’indépendance de chacun des pupitres (les pièces étaient à quatre ou cinq voix, sauf O mors inevitabilis de Vinders, à sept voix).

Sculpteur de voix

Ancien membre des légendaires Tallis Scholars, que nous avions encensés lors de leur venue à la salle Bourgie l’automne dernier, le Britannique Andrew McAnerney a pris, il y a huit ans, la direction de l’ensemble montréalais fondé par Christopher Jackson en 1974. Il a confirmé samedi qu’il était un vrai sculpteur de voix.

Car chanter ce répertoire n’est pas loin du funambulisme. Or, à peu près jamais n’entend-on un des chanteurs percer.

Les sopranos sont juste assez présentes, et la justesse ne fait jamais défaut (ah ! ces accords finaux !). Nos seules – minuscules – réserves concerneraient les sopranos, dont la sonorité pourrait parfois avoir un poil de rondeur supplémentaire, et les basses, qui tendent à couvrir quelque peu certains aigus.

L’« instrument » ainsi façonné par McAnerney est également capable des plus grands contrastes dans les nuances, comme ce pianissimo lunaire dans Musae Jovis d’Appenzeller ou ces alternances fort-doux dans le Credo de la Missa Doulce mémoire de Rore. Les contrastes rythmiques étaient également au rendez-vous, comme on a pu l’entendre avec le preste Mort, tu as navré de ton dard d’Ockeghem, suivi de Nymphes des bois de Josquin des Prés, magnifiquement posé.

L’ensemble a terminé ce fascinant après-midi par l’In memoriam de la Torontoise Ruth Watson Henderson en hommage au chef de chœur Elmer Iseler, un délicat morceau chanté sur des voyelles.

Le Festival Orford Musique bat son plein jusqu’au 5 août.