Pour planter le décor de la vidéo de sa chanson Try That in a Small Town, le chanteur country Jason Aldean a choisi un palais de justice… où a eu lieu le lynchage d’un jeune homme noir en 1927. Depuis sa diffusion, la vidéo a suscité de vives critiques sur les réseaux sociaux, alors que la controverse a poussé la chanson au sommet des plus écoutées aux États-Unis. Décryptage.

Un autre chanteur country dans la controverse ? Qui est-ce ?

Cette fois, il s’agit de Jason Aldean. Sur les réseaux sociaux, le chanteur de 46 ans a été accusé d’encourager la violence armée et le racisme dans le vidéoclip de son nouveau morceau, Try That in a Small Town. Sauf que la controverse a eu aussi l’effet de faire exploser le nombre d’écoutes de la pièce. Embrassée par la droite américaine, la chanson cartonne. Mardi, elle s’est hissée au deuxième rang du Hot 100 du Billboard, le palmarès des chansons les plus populaires, derrière Seven de Jung Kook avec Latto. La semaine dernière, le titre s’est vendu à 228 000 exemplaires sur les plateformes de téléchargement, contre 1000 la semaine ayant précédé la controverse.

D’accord, mais pourquoi la controverse maintenant ? La chanson est sortie en mai…

En effet. À son dévoilement, la chanson n’a pas fait grand bruit. C’est la sortie du vidéoclip, il y a une dizaine de jours, qui a mis le feu aux poudres. Plusieurs ont remarqué qu’il avait été tourné devant le palais de justice du comté de Maury, à Columbia, où un jeune Noir de 18 ans avait été lynché en 1927. Ce n’est pas tout. Le vidéoclip utilise aussi des images de manifestations Black Lives Matter qui, superposées aux paroles, donnent l’impression de comparer les protestations contre la brutalité policière à des crimes violents. Dans la foulée de la controverse, la chaîne Country Music Television (CMT) a annoncé qu’elle ne diffuserait plus le vidéoclip. Les images de Black Lives Matter auraient depuis été retirées en douce du clip, rapportait le Washington Post mardi.

De quoi parle la chanson ?

Ça dépend à qui on pose la question. Pour ses admirateurs, elle fait l’éloge des petites villes rurales où les uns veillent sur les autres. Pour ses détracteurs, elle fait plutôt l’apologie de la violence raciale et de la culture des armes à feu. La chanson débute par une énumération de crimes violents (« Voler la voiture d’une vieille dame à un feu rouge/ Tirer sur le propriétaire d’un magasin d’alcool ») et de comportements montrés du doigt (« Injurier un policier, lui cracher au visage/ Piétiner le drapeau américain et l’allumer »). Au refrain, le chanteur lance un avertissement. « Essayez de faire cela dans une petite ville/ Voyez jusqu’où vous allez vous rendre/ Ici, nous prenons soin des nôtres », chante-t-il. Par la suite, il fait allusion à la théorie du complot selon laquelle le gouvernement américain prévoit de collecter les armes à feu de ses citoyens (« J’ai un pistolet que mon grand-père m’a donné/ Ils disent qu’un jour ils vont les ramasser »).

On sent l’influence de la droite…

En effet. La chanson emprunte plusieurs codes de la droite américaine. Chercheuse à la Chaire Raoul-Dandurand, Véronique Pronovost observe une « romantisation de la culture des armes à feu via la prise en charge de la sécurité publique par des moyens individuels, voire des petits groupes autogérés ». Une forme de vigilantisme, quoi. Le thème de la « division idéologique » ressort aussi des paroles. Lorsque Jason Aldean chante « nous prenons soin des nôtres », à qui fait-il référence ? « Et qui sont les autres ? Les communautés afro-américaines ? Les personnes commettant des méfaits ? L’ensemble des personnes progressistes ? La controverse se trouve là », estime Mme Pronovost.

PHOTO AMY HARRIS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jason Aldean en juin 2022

Qu’en a dit le principal intéressé ?

Essentiellement, il a balayé les critiques de la main. Sur les réseaux sociaux, il a affirmé qu’aucune parole « ne fait référence à la race ». « Je peux essayer de respecter les interprétations propres à chacun, mais cela va trop loin », a-t-il poursuivi. En concert le week-end dernier, le chanteur country a dénoncé une fois de plus la controverse. « Je suis fier d’être d’américain. J’aime notre pays. Je veux le voir redevenir ce qu’il était avant que toutes ces conneries commencent à nous arriver. J’aime notre pays, j’aime ma famille et je ferai tout pour les protéger », a-t-il déclaré à une foule enthousiaste. Quant à elle, la maison de production derrière le vidéoclip a qualifié l’endroit où a été filmée la vidéo de lieu de tournage populaire.

Où en est la controverse aujourd’hui ?

Elle a été récupérée politiquement. Donald Trump s’est empressé de soutenir le chanteur. « Jason Aldean est un homme fantastique qui vient de sortir une chanson géniale. Soutenez Jason jusqu’au bout », a écrit l’ancien président sur son réseau social, Truth. Le candidat républicain à l’élection présidentielle et gouverneur de la Floride Ron DeSantis a lui aussi démontré son appui à Jason Aldean. « Nous devons rétablir la raison dans ce pays », a-t-il déclaré dans une entrevue, faisant allusion à la culture de l’annulation. Selon Véronique Pronovost, cette récupération n’est pas surprenante. « De manière générale, la culture est un excellent vecteur pour faire passer des messages politiques. La gauche et la droite l’utilisent. Ce qui est intéressant, c’est que du côté de la droite, la culture, au même titre que la politique, l’éducation, les médias et la famille, est devenue un espace privilégié que l’on souhaite influencer, voire contrôler, pour y diffuser une vision de ce que devrait être la société états-unienne », affirme-t-elle.