En janvier dernier, les indices nous laissaient croire qu’une année de rêve attendait la chanteuse québécoise La Zarra, alors fraîchement sélectionnée pour représenter la France au prestigieux concours Eurovision. Huit mois plus tard, le conte de fées semble s’être transformé en cauchemar.

Le week-end dernier, malgré ses « vives objections », tous ses concerts en Europe ont été annulés. « Une manœuvre déplorable », a décrit l’artiste maroco-canadienne sur Instagram.

Avec cette vague d’annulations massives (elle devait parcourir l’Hexagone jusqu’en janvier 2024), l’ex-coiffeuse a poursuivi sa série noire, entamée au dévoilement des résultats de l’Eurovision, à Liverpool, au mois de mai dernier. En direct, devant des millions de téléspectateurs, la candidate avait baissé puis levé son majeur en pleine télé, après avoir appris qu’elle avait terminé l’épreuve au 16rang.

Malgré les explications subséquentes de l’artiste, ce possible doigt d’honneur a déclenché la polémique. Au lendemain de l’évènement, les radios nationales ont déprogrammé sa chanson Évidemment, rapporte le quotidien Le Parisien. Même France Bleu, une station qui faisait pourtant partie des commanditaires de l’Eurovision, s’est jointe au « boycottage ».

Ont suivi diverses rumeurs concernant son attitude présumée de « diva », des promotions pour stimuler des ventes de billets au ralenti – un site proposait des places à 3,5 euros (5 $ CAN), révèle Pure Charts), des sorties peu élégantes sur Instagram (« Pour tous ceux qui me critiquent, allez vous faire enc… avec un concombre ») et quelques reports de concerts pour « raisons techniques ».

Image « endommagée »

Selon Le Figaro, La Zarra est devenue « persona non grata » après son geste disgracieux, une théorie à laquelle des fans européens adhèrent. « Tout ça, c’est par rapport au doigt d’honneur, commente Sandy, modératrice d’une page Facebook française qui rallie près d’un millier d’admirateurs. C’est n’importe quoi ! […] Et maintenant, ils déprogramment ses concerts parce qu’ils n’ont plus envie qu’elle fasse carrière en France. »

« Son image a été un peu endommagée », confirme William Martin-Genier, producteur chez Gin Prod et fondateur de la balado EuroMania, consacrée au populaire concours télévisé.

Les fans de l’Eurovision n’ont pas lâché La Zarra. C’est le public français qui n’a pas accroché.

William Martin-Genier, producteur chez Gin Prod et fondateur de la balado EuroMania

Selon une source bien informée, l’artiste maroco-canadienne de 35 ans est toujours sous contrat chez Capitol Music France, qui appartient au groupe Universal Music. Chez Universal Music Canada, on confirme qu’elle prépare actuellement de nouvelles chansons.

La chanteuse a refusé notre demande d’entrevue.

Impact surestimé

À lui seul, le « doigt d’honneur-gate » n’explique pas nécessairement les déboires professionnels de Fatima-Zhara Hafdi, alias La Zarra. Après son passage au 67concours Eurovision, sa popularité sur l’internet a même enregistré une hausse, selon Chartmetric, un site réservé aux professionnels du secteur musical qui recense les statistiques du web (réseaux sociaux, plateformes de diffusion en continu). Sur Spotify, sa chanson Tu t’en iras, sortie en 2021, frôle les 25 millions d’écoutes, un résultat qu’envient nombre d’artistes menant une carrière exclusivement au Québec.

En réservant des salles beaucoup trop grandes, l’équipe de l’auteure-compositrice-interprète aurait surestimé l’impact de l’Eurovision, estime Alexis Perron-Brault, professeur au département de marketing de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« L’Eurovision, c’est assez efficace pour propulser un artiste, mais c’est loin d’être magique. C’est une belle vitrine, mais après, il faut travailler. Il n’y a rien de garanti. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La Zarra

Pression immense

Quatrième Québécoise ou Acadienne à participer au concours musical après Céline Dion, victorieuse en 1988, l’actrice-chanteuse Annie Cotton (Watatatow), troisième en 1993, et Natasha St-Pierre, quatrième en 2001, La Zarra subissait une pression immense en représentant la France. La république d’Emmanuel Macron n’avait pas gagné le concours depuis 1977, et comptait sur l’artiste québécoise pour redorer son blason.

C’était la première année qu’il y avait autant de marketing autour de l’Eurovision en France. La Zarra commençait sa carrière, elle faisait des émissions de télé, elle succédait à Barbara Pravi, qui avait fini deuxième en 2021… Les attentes étaient immenses.

William Martin-Genier, producteur chez Gin Prod et fondateur de la balado EuroMania

« Sur place, la pression est énorme, parce qu’il y a des enjeux d’audience, des enjeux financiers pour France Télé. »

L’Eurovision 2023 a été regardé par 162 millions de téléspectateurs, d’après les chiffres de l’Union européenne de radiotélévision. En France, la finale a attiré 3,5 millions de curieux, selon Médiamétrie.

Retour possible ?

La Zarra pourra-t-elle relancer sa carrière après avoir essuyé une telle série de revers ? Difficile à dire. Chose certaine, la pente s’annonce abrupte, observe Alexis Perron-Brault, de l’UQAM.

« Si Céline Dion faisait une bêtise, on sait qu’elle s’en remettrait parce qu’il y a tout un bagage passé. Elle a développé une relation solide avec ses fans. Pour les jeunes artistes plus ou moins connus comme La Zarra, c’est une relation de courte durée. C’est dur pour eux. »

Quand on crashe rapidement en début de carrière, notre marge de manœuvre pour rebâtir est beaucoup moins large…

Alexis Perron-Brault, professeur au département de marketing de l’UQAM

Même son de cloche chez Sandy, du fan-club non officiel de l’artiste. « Ça s’annonce très dur, mais j’espère qu’elle va pouvoir se relever. Parce qu’elle chante différemment de ce qu’on entend à l’heure actuelle. Elle a une belle voix, de beaux textes, de belles musiques. C’est quelqu’un qui sort de l’ordinaire, et c’est pour ça qu’on l’aime. »

Pour William Martin-Genier, tous les espoirs sont encore permis. « La presse n’a pas été facile avec elle, mais c’est quand même une bonne artiste. J’ai vu qu’elle était au festival de Montreux, en Suisse, où elle a été bien accueillie. Elle a offert une bonne performance. Je pense qu’elle peut renaître de ses cendres. »

Pour sa part, La Zarra est déterminée. Bien qu’elle soit tombée, la battante compte se relever, panser ses plaies et poursuivre son chemin. « Je reviendrai bientôt mieux entourée », a-t-elle écrit sur Instagram.