C’est le monde à l’envers. Depuis mardi, la chanteuse américaine Lizzo, symbole de la diversité corporelle et de l’acceptation de soi, se fait reprocher exactement… ce qu’elle a toujours dénoncé. Même Beyoncé a omis de mentionner la populaire artiste durant sa tournée internationale, elle qui le fait habituemment systématiquement. Décryptage de la controverse de l’heure.

D’après les réactions sur les réseaux sociaux, Lizzo tombe de haut… Pourquoi ?

Pour comprendre l’ampleur de la controverse, il faut connaître le personnage. Dans l’industrie de la musique, Lizzo était perçue comme une bouffée d’air frais. Une femme noire et grosse qui refuse de s’excuser d’être qui elle est ? Au contraire, elle le revendique ! « Lizzo représente quelque chose d’exceptionnel », souligne Edith Bernier, vulgarisatrice, auteure et conférencière sur la prévention de la grossophobie. En 2016, elle se fait connaître du grand public avec la sortie de Good as Hell, une chanson entraînante porteuse d’un message d’acceptation de soi et de tolérance qui teintera le reste de sa discographie. Sur scène, elle s’entoure de danseuses de toutes les tailles et de toutes les origines. Elle ose les décolletés et les justaucorps, dévoile ses cuisses et ses bourrelets. Jusqu’alors, les femmes grosses qui existaient dans l’espace médiatique s’habillaient plutôt modestement, fait remarquer Mme Bernier, prenant l’exemple d’Adele. Aux femmes comme elle, Lizzo envoie un message puissant. « C’est possible d’avoir du succès », dit-elle.

Avec ce portrait, les accusations paraissent pires…

Tout l’enjeu est là. Plusieurs fans l’ont vécu comme une trahison. Leur modèle accusé de tout ce qu’elle a toujours dénoncé ? C’est impossible ! Pourtant, trois ex-danseuses de la chanteuse ont porté plainte mardi pour harcèlement sexuel, religieux et racial. Selon les plaignantes, l’interprète de Truth Hurts aurait notamment souligné la prise de poids d’une danseuse et fait pression sur ses employées afin qu’elles touchent des danseurs nus dans un cabaret d’Amsterdam. Jeudi, Lizzo a répondu aux allégations, démentant tout. « D’habitude, je choisis de ne pas répondre aux fausses allégations, mais celles-ci sont aussi incroyables qu’elles en ont l’air et trop scandaleuses pour ne pas y répondre, a-t-elle rétorqué. Parfois, je dois prendre des décisions difficiles, mais ce n’est jamais mon intention de mettre une personne mal à l’aise ou qu’elle ne se sente pas valorisée comme une partie importante de l’équipe. » Plus tard jeudi, les plaignantes ont accordé une entrevue au réseau CNN, réagissant au démenti de la chanteuse. « Je tiens à dire que ça ne fait qu’accentuer ma déception à l’égard de la situation, parce que les faits sont les faits, a déclaré Crystal Williams à l’animateur Phil Mattingly. Ce que nous avons vécu et ce dont nous avons été témoins, c’est la réalité. Il n’y a rien de sensationnaliste là-dedans. Tout ce que je peux espérer, c’est que les gens se concentrent davantage sur les faits que sur l’opinion publique. »

Comment le public a-t-il réagi aux allégations ?

Très mal. Colère, déception, incompréhension : toute la gamme d’émotions était représentée dans les commentaires sous les publications de l’artiste. Les remarques grossophobes aussi. La réaction aurait-elle été aussi virulente si Lizzo n’était pas une femme noire, grosse qui plus est ? « Quand quelqu’un d’aussi atypique a du succès, il y a toujours des haters, des gens qui attendent dans l’ombre pour tirer la première pierre dès qu’il y a une occasion. Il faut qu’elle soit parfaite, parce qu’elle n’est pas parfaite », observe Edith Bernier. Mais la stratège en communication Martine St-Victor croit plutôt l’inverse. Une partie du public préfère attendre plus d’informations avant de mettre définitivement une croix sur la chanteuse, rappelle-t-elle. Et l’amour profond que lui vouent ses fans joue peut-être en sa faveur.

Si ça avait été un homme, je ne suis pas certaine qu’il y aurait eu autant le bénéfice du doute.

Martine St-Victor, stratège en communication

Et la suite ?

Pour l’instant, les dégâts semblent plutôt limités aux réseaux sociaux. Aucun partenaire commercial n’a rompu de lien avec elle, aucune station de radio n’a retiré ses chansons. « Elle s’en tire moyennement bien, vu la teneur des allégations », juge Martine St-Victor. Tout de même, Beyoncé aurait omis de prononcer le nom de Lizzo durant la chanson Break My Soul (Queen’s Remix), qui fait l’éloge de femmes importantes dans l’industrie du divertissement, lors d’un concert à Boston en début de semaine. Si les plaignantes gagnaient leur cause, Lizzo ne serait pas la seule perdante dans cette histoire. Ses fans perdraient aussi un modèle qui leur ressemble, une voix positive dans l’espace public, déplore Edith Bernier. « En tant que femme grosse, il faut constamment se trouver de nouveaux modèles, parce qu’elles ont perdu du poids, parce qu’elles sont fatiguées d’être à l’avant-scène, parce qu’elles ne sont plus présentes pour une raison ou une autre », laisse-t-elle entendre. Une chose est certaine, ajoute-t-elle, il est trop tôt pour se prononcer sur les allégations. « Il faut prendre les victimes au sérieux, mais je pense aussi qu’il ne faut pas sauter aux conclusions. Il faut faire confiance aux autorités en place pour mener l’enquête », conclut-elle.

L’histoire jusqu’ici

Trois anciennes danseuses ont déposé mardi une poursuite civile à Los Angeles contre Lizzo pour harcèlement sexuel, religieux et racial, discrimination fondée sur le handicap, agression et séquestration.

La cinéaste Sophia Nahli Allison a rapporté sur les médias sociaux mercredi qu’elle travaillait sur un documentaire sur la vie de l’artiste, mais qu’elle avait quitté le projet après avoir été « témoin de son arrogance, de son égocentrisme et de son manque de gentillesse ».

Lizzo a remporté en février dernier le prix du meilleur enregistrement de l’année aux Grammy Awards pour sa chanson About Damn Time.

Avec moins de deux heures de préavis, elle avait reporté son spectacle du 4 mai dernier au Centre Bell en raison de problèmes de santé. Elle est finalement montée sur la scène montréalaise le 11 juin.