Le hip-hop a parcouru énormément de chemin depuis sa création, il y aura 50 ans vendredi prochain. D’abord un phénomène marginal, il est aujourd’hui l’un des styles musicaux les plus populaires sur la planète. Voici quelques moments qui ont marqué son histoire… et celle du Québec musical. À lire en tenant compte qu’il en existe bien d’autres.

1973

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Clive Campbell

Le 11 août 1973. C’est le jour qui est considéré, dans la culture populaire, comme celui où le hip-hop est né. Clive Campbell, alias DJ Kool Herc, anime une fête pour souligner le retour à l’école de sa sœur, dans son immeuble résidentiel de Sedgwick Avenue, dans le Bronx new-yorkais. « Ce qu’il y avait de spécial : il a importé le concept des sound-systems jamaïcains à la sauce américaine : il utilisait deux tables-tournantes », note Christophe Jbeili, journaliste spécialisé en hip-hop. Le son et la technique étaient encore rudimentaires, mais les bases étaient jetées.

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Fin des années 1970

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le DJ Grandmaster Flash, en 2001, à Montréal

Grandmaster Flash, l’un des pionniers du hip-hop, invente la technique du quick mix. Le DJ « s’est mis à isoler des séquences très courtes d’un vinyle et à les répéter pour que ces moments soient plus longs et qu’ils puissent faire danser les gens », explique Christophe Jbeili. Puis, en 1982, il fait paraître la chanson The Message sur un album homonyme avec le groupe The Furious Five. C’est la première occurrence d’un morceau hip-hop « conscient et à charge sociopolitique », ajoute celui qui est également étudiant à la maîtrise en science politique à l’UQAM.

1981

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Les membres de Run-DMC – Joseph Simmons, Jason Mizell et Darryl McDaniels – au début des années 1980

Formation du légendaire groupe Run-DMC dans l’arrondissement de Queens, à New York. Ses membres ont été les premiers à fièrement arborer des éléments de streetwear, et « s’habillaient selon le style glam de l’époque ». Ils sont d’ailleurs immanquablement associés à la marque Adidas, ce qui était nouveau pour cette période. Le trio a été actif jusqu’en 2002.

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1984

IMAGE TIRÉE D’APPLE MUSIC

Le visuel de la chanson Roxanne’s Revenge de Roxanne Shanté

Roxanne Shanté, native de Queens à New York, fait paraître le morceau Roxanne’s Revenge. Il s’agit d’une réponse à la chanson Roxanne, Roxanne du groupe hip-hop UTFO, qui date de l’année précédente. Roxanne’s Revenge est considéré par de nombreux connaisseurs comme « le premier et le meilleur diss track de l’histoire du rap américain », selon Christophe Jbeili. Elle avait seulement 14 ans à l’époque.

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1986

PHOTO CAROL FREDMAN, FOURNIE PAR MCA RECORDS INC.

Eric B. et Rakim en 1990

Arrivée de Rakim, actif jusqu’en 1993 au sein du duo Eric B. & Rakim. Il est le premier à avoir ralenti le rythme des chansons, l’un des premiers à avoir intégré des rimes multisyllabiques et des rimes internes, puis le premier à avoir intellectualisé son approche du rap. « Il structurait ses paroles de chanson comme s’il était un instrument de musique alors que ceux avant lui rappaient juste le plus vite et énergiquement possible, soutient Christophe Jbeili. C’est essentiel pour comprendre l’évolution du rap en tant que musique. »

1989

CAPTURE D’ÉCRAN DU CLIP

Monie Love et Queen Latifah dans le clip Ladies First

Les rappeuses Queen Latifah (de Newark, dans le New Jersey) et Monie Love (de Londres, au Royaume-Uni), du collectif Native Tongues, lancent le single Ladies First. La piste est perçue comme « le premier hymne féministe de l’histoire du rap ». Natives Tongues, qui traite notamment de spiritualité, de sexe et d’amusement dans un rap engagé et parfois jazzé, est encore actif musicalement.

1992

Le Wu-Tang Clan est formé. « C’est la première fois, à mon avis, qu’on a un plan marketing qui est pensé de A à Z : de l’esthétique pour ce qui est de l’image jusqu’au style de musique en passant par les références aux films de kung-fu, énumère Christophe Jbeili. C’était tout un univers qu’ils avaient développé. » Composé de 10 membres de Staten Island et de Brooklyn, il est le premier groupe mis de l’avant « autant en tant que groupe qu’en tant que rassemblement d’individualités ». Sa marque de vêtements, encore aujourd’hui, est iconique. Et en ce qui concerne la musique, « il n’y avait rien d’autre qui sonnait comme ça ».

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1994

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

NAS de passage à Montréal, en 2008

Nas, lui aussi un rappeur de New York, lance son premier album, Illmatic. Il s’agit de l’occasion où le fait d’inclure plusieurs beatmakers sur un même disque a été popularisée. « Avant, il y avait cette idée que le DJ ou le beatmaker devait avoir plus ou autant de shine que le rappeur. Nas a complètement déconstruit ça – c’est devenu lui, la tête d’affiche de son propre album et de tous ses projets », raconte Christophe Jbeili.

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1998

CAPTURE D’ÉCRAN DU CLIP

Skandal dans le clip Pas d’chilling de Rainmen

La rappeuse Skandal obtient un couplet sur la chanson Pas d’chilling du groupe Rainmen. Ce couplet a la réputation d’être l’une des meilleures collaborations en featuring de l’histoire du hip-hop dans la province, et représente également « l’une des rares occurrences où une femme a été aussi mise en lumière dans le rap québécois ». Avec J. Kyll du groupe Muzion, Skandal est de celles à qui on pense en premier si on entend l’expression « meilleure rappeuse au Québec ».

1999

PHOTO ARMAND TROTTIER, ARCHIVES LA PRESSE

Le chanteur rap Sans Pression en 2005

Sans Pression, véritable pilier du mouvement pour le développement du hip-hop québécois, lance son album 514-50 dans mon réseau. L’année suivante, Yvon Krevé publie son premier disque, L’accent grave. Ensemble, on peut les considérer comme des incontournables du rap québ, eux qui ont été les premiers à le faire en joual. « Ils sont ceux qui ont décomplexé les Québécois par rapport à leur accent dans leur musique, rapporte Christophe Jbeili. Avant, la plupart des rappeurs le faisaient avec un accent français. »

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1999

PHOTO MARK J. TERRILL, ARCHIVES LA PRESSE

DDre aux American Music Awards, en 2001, alors qu’il vient de remporter le prix pour l’artiste de hip-hop de l’année

DDre lance son deuxième album en carrière. Le disque, qui porte par ailleurs le même nom, est devenu un « baromètre pour tous les ingénieurs qui souhaitaient avoir un son professionnel » dans le rap, puisque l’audio y avait été compressé de main de maître. Le producteur de Compton, en Californie, est également l’un des premiers artistes de l’Ouest à délibérément choisir de faire la paix avec ceux de la côte Est. L’une des figures les plus influentes de l’histoire du rap, il est encore aujourd’hui une référence incontournable pour sa polyvalence.

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2002

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Passage d’Eminem le 27 octobre 2000 à Montréal

Eminem publie son quatrième album studio, The Eminem Show. Pour la première fois, une partie de l’Amérique blanche se sent représentée dans le rap et ne le regarde plus comme un simple divertissement. « La majorité du public rap, ç’a été des personnes blanches depuis le début, donc le genre s’est modelé pour plaire à un auditoire blanc, pointe Christophe Jbeili. Dans la sociologie du hip-hop, c’est quelque chose qui est beaucoup souligné. Les artistes ne pouvaient faire autrement que de se conformer aux attentes du public blanc pour vendre des disques. Eminem a un peu changé la donne, même s’il venait des quartiers populaires de Detroit. »

2002

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Francis Belleau, un membre du collectif 83, discute avec l’animateur du Gala de l’ADISQ, Guy A. Lepage, alors qu’il s’est présenté sur scène à l’improviste durant la diffusion du gala pour réclamer que l’Académie réserve un meilleur sort au hip-hop.

Le collectif 83 interrompt le Gala de l’ADISQ, animé par Guy A. Lepage. Francis Belleau, du duo La Constellation, prend respectueusement la parole pendant une courte minute pour protester contre la non-représentation du rap et du hip-hop dans la sphère musciale grand public, et demande à ce que la catégorie hip-hop soit présentée « en ondes », en même temps que les autres. Il faudra toutefois attendre à 2017 pour que celle-ci fasse partie du gala principal.

Voyez l’intervention de Francis Belleau

2010

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le collectif Alaclair Ensemble aux Francos en 2013

Le collectif Alaclair Ensemble fait paraître l’album 4,99, ce qui a, selon plusieurs, changé la manière de faire du rap au Québec. On y retrouvait « de l’humour, puis un côté déjanté et explosif », ce qui changeait de ce qu’on avait entendu jusque-là. « Les gars de LLA ou de Dead Obies te diraient tous que cet album est incontournable pour le rap québécois, illustre Christophe Jbeili. Ça a ouvert la porte à ce que d’autres rappeurs – qui ne sont pas issus de quartiers populaires comme Saint-Michel ou Montréal-Nord – puissent faire du rap qui leur ressemble. »

2011

PHOTO EVAN AGOSTINI, ARCHIVES INVISION

Rihannae et ASAP Rocky, en 2021

ASAP Rocky se met à porter de la haute couture dans ses clips, ce qui est « révolutionnaire pour l’époque parce que, clairement, ça a brisé un plafond de verre pour les rappeurs, selon Christophe Jbeili. Après, les partenariats avec les marques de luxe se sont multipliés ». D’une authenticité frappante, le natif de New York est aussi le premier qui a « parlé de sa consommation de drogues dures de façon aussi ouverte » et qui « assume complètement qu’il a des influences qui ne viennent pas de sa ville d’origine », à savoir Memphis et Houston.

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2012

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Spectacle de Kendrick Lamar lors du festival Osheaga, en 2013

Kendrick Lamar lance son deuxième album, Good Kid, M. A. A. D City. Ce disque a ramené de l’avant l’idée de « l’album concept », soit le principe qu’il y ait un thème, une idée ou une histoire récurrente, chose qui s’était perdue avec le temps. « L’idée de l’album, c’était rendu un prétexte pour faire du marketing, mais l’album en tant que tel n’avait pas nécessairement de cohérence. À partir de Kendrick Lamar, assurément, les gens ont commencé à reprendre ça au sérieux. Sans lui, on n’aurait pas d’aussi bonne musique aujourd’hui. »

2016

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Portrait du rappeur LOST qui sera en concert aux Francos

Le rappeur Lost publie son projet Bonhomme pendu (Chapitre 2). Peu de temps après, il se fait connaître avec le collectif 5sang14, à un moment où une nouvelle vague éclabousse la scène locale. « Ça a changé la façon dont est représenté le hip-hop à travers le Québec. On sait très bien quels rappeurs sont mis de l’avant dans les festivals ou les médias, affirme Christophe Jbeili, sans les nommer. Avec 5sang14, avec Izzy-S, c’est la première fois que des rappeurs venant de quartiers populaires ont atteint un aussi grand auditoire sans le public blanc. »

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2017

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Loud au Beach Club de Pointe Calumet en 2018

Le rappeur Loud, précédemment connu pour son travail au sein du trio Loud Lary Ajust, lance sa carrière solo avec la chanson 56K. « C’est le premier succès organique qui a dépassé les frontières du Québec. Et par organique, j’entends qu’il n’y a pas eu de réflexion délibérée pour que ça marche en France », précise Christophe Jbeili. Un gros effet boule de neige a suivi, ce qui lui a permis de remplir des salles en Europe. « On peut dire ce qu’on veut de lui, mais il reste le premier qui a atteint ce rêve de conquérir la France pour de vrai. »