À l’été 1998, un air celtique prenait d’assaut les ondes radio. Au Québec, en France et ailleurs dans le monde, on rappait les exploits de guerriers fictifs qui défendaient la terre de leurs ancêtres. À l’occasion des 25 ans de la chanson La tribu de Dana, retour sur ce succès-surprise qui, telle une légende bretonne, a traversé les années.

L’ascension de Manau

Trônant à la tête des palmarès en France pendant 12 semaines de juin à septembre 1998, La tribu de Dana est au deuxième rang des chansons les plus vendues dans l’Hexagone cette année-là, derrière Belle, de la comédie musicale Notre-Dame de Paris.

La popularité de la pièce du groupe Manau traverse rapidement la frontière, et même l’océan : ailleurs en Europe, notamment en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne, de même qu’au Québec, le refrain joue en boucle à la radio.

« Je n’étais pas préparé à ça », se souvient Martial Tricoche, chanteur du duo qu’il forme avec Cédric Soubiron. « Moi, je viens de l’usine. Je ne pensais pas un jour pouvoir vivre de ma passion », ajoute celui que La Presse a rencontré lors de son passage à Montréal en mai dernier.

Les secrets du succès

Comment ces druides du rap ont-ils réussi à envoûter tant de gens avec leur pièce ? Une partie de ce succès repose sur « ce refrain incroyable, cette mélodie traditionnelle », croit Martial Tricoche. Car, pour ceux qui l’ignorent encore, La tribu de Dana reprend l’air d’une vieille chanson bretonne, Tri martolod.

Professeure de musicologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Vanessa Blais-Tremblay pense également que cet élément a contribué à charmer de nombreuses personnes, et ce, même si elles ne connaissaient pas la chanson originale.

« S’associer à cette pièce-là, qui avait un potentiel assez fort sur le plan mélodique pour traverser les siècles, c’était intéressant. Et ça a été couronné de succès », analyse-t-elle.

La professeure souligne aussi qu’avant La tribu de Dana, le public n’avait jamais entendu de rap celtique. « Le rap, en tant que genre musical, c’est généralement une musique de contestation sociale. […] Les éléments historico-fantastiques qui apparaissent dans La tribu de Dana, on les retrouve beaucoup plus souvent dans les sous-genres associés au métal et à la musique de jeux vidéo et de jeux de rôles. Il y a donc ici un croisement vraiment intéressant et inédit sur le plan du genre musical qui a plu aux publics de masse. »

Un vent de nostalgie

PHOTO FOURNIE PAR TAMÉLO

Le chandail La vallée de Dana

Même si les années ont passé, l’histoire de ces géants guerriers celtes demeure dans l’imaginaire collectif, en France comme ici. Des gens de toutes les générations connaissent les paroles. « Quand j’ai vu des enfants entre 10 et 15 ans la chanter par cœur alors qu’ils n’étaient pas nés à sa sortie, je me suis dit : “Il se passe un truc” », témoigne Martial Tricoche.

« C’est une chanson iconique », croit Virginie Fisette, qui, avec ses partenaires de la boutique de vêtements Tamélo, a lancé un chandail sur lequel on peut lire le populaire refrain. « Pour notre génération, La tribu de Dana, c’est un mégaclassique », ajoute celle qui est née à la fin des années 1980. Elle n’est pas seule à le penser, puisque ce coton ouaté de style « crewneck » compte parmi les meilleurs vendeurs de l’entreprise dont les designs mettent de l’avant des références culturelles fortes des années 1980 et 1990.

Un air d’opéra

En 2023, La tribu de Dana connaît une nouvelle vie grâce à une reprise du chanteur lyrique Vincent Niclo. Si Martial Tricoche et lui se sont arrêtés au Québec en mai, c’était d’ailleurs pour faire la promotion de cette version qui apparaît sur l’album Opéra celte du ténor français. Pourquoi a-t-il voulu inclure La tribu de Dana sur cet opus ? « J’ai vécu le raz-de-marée Manau comme tout le monde », répond Vincent Niclo, en indiquant qu’il ne se voyait pas puiser dans la musique celtique sans s’entourer d’artistes qui ont marqué le genre.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Vincent Niclo

Par le passé, Martial Tricoche a reçu d’autres propositions similaires et les a toutes refusées. Mais cette fois-ci, c’était différent. « J’ai vraiment été agréablement surpris au moment d’écouter le morceau. […] Je trouvais que sa voix aidait l’histoire. Ça devenait épique. »

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La suite

L’automne prochain, Manau sortira un nouvel album, son onzième en carrière. Si le groupe n’a jamais renoué avec un succès aussi grand que celui de La tribu de Dana, Martial Tricoche n’est pas pour autant déçu. « On n’est plus sur l’autoroute. On est sur les routes de côté, mais on est très heureux », affirme-t-il.

Le rappeur refuse d’ailleurs l’étiquette de « one-hit wonder » que certains accolent au groupe. Gagnant d’un Victoire de la musique, l’album Panique celtique, sur lequel on trouve La tribu de Dana, s’est mieux vendu que le simple, souligne celui qui aimerait effectuer une première tournée au Québec dans les prochains mois.

Il n’en demeure pas moins qu’en concert, c’est La tribu de Dana que la foule souhaite entendre. Prend-il encore plaisir à la chanter ? « Je ne la chante plus, répond-il avec un sourire espiègle. Dès les premières notes, je tends le micro. Et là, c’est que de l’émotion. »

L’émotion d’une foule un brin nostalgique qui rappe les exploits d’un roi du passé.