Elisapie, James Blake, Karkwa, Dominique Fils-Aimé, Émile Bilodeau, Ed Sheeran, CRi, Olivia Rodrigo et Doja Cat – ainsi que de nombreux autres – font tous paraître un nouvel album durant le mois de septembre. Bien que cette période de l’année ait toujours été la plus foisonnante, le calendrier des sorties de disques est particulièrement riche cet automne. Explications, avec des professionnels de l’industrie musicale.

« Historiquement, l’automne a toujours été une grosse période de sortie de disques », affirme Emilie Darveau, directrice disques et mise en marché de la maison de disques Bravo Musique (Cœur de pirate, Evelyne Brochu, L’Isle, Gab Bouchard). « Septembre et octobre, c’est une période très, très, très occupée », renchérit Kevin Anocque, directeur label chez Ensoul Records (Dominique Fils-Aimé, Hanorah, Eddy).

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Émile Bilodeau

Il n’est donc généralement pas surprenant de voir de nombreux albums offerts durant cette période privilégiée par la plupart des artistes pour toutes sortes de raisons (nous y reviendrons). Toutefois, les professionnels du milieu auxquels La Presse a parlé s’accordent pour dire que le déluge de sorties au calendrier cet automne est quelque peu inhabituel.

Côté local, Karkwa, Allison Russell, Elisapie, Evelyne Brochu, CRi, Chilly Gonzales, Dominique Fils-Aimé, Marilou, Aliocha Schneider, Émile Bilodeau, notamment, feront tous paraître leur disque en septembre.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Louis-Jean Cormier, chanteur de Karkwa

À l’international, James Blake, Olivia Rodrigo, Doja Cat, Kylie Minogue, Kid Cudi et de nombreux autres s’ajoutent à la liste, seulement pour ce mois-ci.

Il y a eu une espèce de goulot d’étranglement à cause de la pandémie. Plusieurs jeunes artistes n’ont pas sorti d’album dans les dernières années. Ils arrivent tous en même temps.

Emilie Darveau, directrice disques et mise en marché chez Bravo Musique

« Nous avons plusieurs nouvelles signatures, poursuit Emilie Darveau, mais on avait eu moins de premiers disques avant ça. Là, on a de nouveau plus de place pour la nouveauté. »

À ces nouveautés s’ajoutent tous les autres artistes, plus établis, qui eux aussi ont attendu que le moment soit plus opportun. Une sortie d’album s’accompagne de campagnes de promotion, de spectacles de lancement et de tournées, idéalement. Durant la pandémie, tout cela était grandement limité, voire impossible pendant un certain temps.

« On a arrêté de sortir des disques pendant un moment parce que c’était très compliqué de les commercialiser, explique Kevin Anocque. C’est la même chose pour les spectacles. On a vu beaucoup de sorties être reportées pendant un temps, dans l’espoir que la pandémie allait cesser. Ça a fait qu’on s’est retrouvé avec beaucoup d’albums pour des sorties post-pandémie et ça continue un peu. »

PHOTO CHANTAL ANDERSON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Olivia Rodrigo

Privilégier l’automne

« L’automne, c’est la rentrée culturelle, dit Alixe Hennessey Dubuc, directrice label chez Audiogram (Fanny Bloom, Aliocha Schneider, Elliot Maginot, Matt Holubowski, Marilou). Chez nous, on lance toujours une douzaine d’albums par année, répartis entre les deux périodes fortes, c’est-à-dire l’automne et le printemps. »

« L’été, c’est les festivals, c’est les vacances, on ne va pas lancer un album quand les journalistes culturels sont en vacances », explique-t-elle encore.

Lancer un album début septembre, ça nous laisse un bon deux mois de travail pour espérer que notre musique entre en rotation dans le plus grand nombre de stations possible. Parce que dès la mi-novembre, on tombe dans la période musicale de Noël, il n’y a plus que ça à la radio.

Alixe Hennessey Dubuc, directrice label chez Audiogram

Puis, il faut penser aux spectacles. Des artistes locaux et internationaux se partagent l’affiche de nos grandes salles sans interruption cet automne. « Les cycles de vie de l’album et du spectacle sont étroitement liés. Par exemple, pour Dominique [Fils-Aimé], ça fait un an qu’on a prévu la période à laquelle on sortirait l’album, affirme Kevin Anocque. Pour avoir le temps de communiquer avec nos partenaires de booking de spectacles, les programmateurs, les diffuseurs, les tourneurs. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Dominique Fils-Aimé

Les festivals sont aussi pris en compte. « À l’automne, tous les gros festivals viennent de se terminer, mais il y en a encore, comme Coup de cœur francophone, avec lesquels on peut s’aligner », dit Alixe Hennessey Dubuc. Puis revient le printemps et la période des soumissions pour les festivals d’été, souligne Kevin Anocque.

« Après une sortie en septembre, si l’album d’un artiste a du succès, les programmateurs de festivals, au début de l’année suivante, vont pouvoir le prendre pour l’été d’après », ajoute en ce sens Emilie Darveau.

Encore une fois (en partie) en raison de la pandémie, beaucoup de spectacles de lancement et de tournées ont lieu en même temps. Certains concerts suivent logiquement les récentes sorties de disques, d’autres ont été repoussés jusqu’à aujourd’hui puisque la pandémie a empêché un bon roulement. « On sort un peu de cette période-là des tournées reportées, mais ça fait aussi qu’on a tout plein d’artistes qui ont hâte de présenter de nouveaux spectacles, affirme Alixe Hennessey Dubuc. Beaucoup sortent de la période de création et arrivent avec du nouveau matériel. »

Des stratégies de sortie

Décaler les dates

J’ai parlé avec la manager d’Elisapie pour nous coordonner au niveau de la sortie de son album et de celui de Dominique [Fils-Aimé]. Elisapie sort le sien le 15 septembre, alors on a décalé la sortie pour Dominique d’une semaine et on sort son album le 22 septembre pour ne pas se faire de l’ombre, sachant notamment qu’on a plusieurs partenaires d’affaires en commun.

Kevin Anocque, directeur label chez Ensoul Records

Une occasion de découverte

Quelqu’un qu’on veut faire découvrir versus quelqu’un de plus établi, ça peut porter préjudice au premier si ça sort à la même date. Des disques qui attirent le même public, c’est la même chose. [Mais] avoir un public attentif à la musique québécoise, ça peut être l’occasion de faire découvrir en même temps des artistes dans le même champ.

Emilie Darveau, directrice disques et mise en marché chez Bravo Musique

Parler aux autres maisons de disques

On essaie de se tenir au courant les uns les autres. Tous les acteurs du milieu sont heureux de voir qu’un artiste a du succès, qu’il vend des shows, qu’il a des streams. La difficulté, c’est de tirer son épingle du jeu dans un marché complètement saturé par rapport aux écoutes en ligne. En se tenant au courant [entre maisons de disques], on peut essayer de faire en sorte que chacun ait son moment d’attention médiatique ou sur les plateformes.

Alixe Hennessey Dubuc, directrice label chez Audiogram