Karkwa est de retour avec un disque audacieux et fin. Pas de doute, la chimie opère encore, tant sur disque que sur scène, au sein de ce groupe dont l’absence a magnifié l’aura.

Ce n’était pas un concert secret, mais presque : mardi, Karkwa a joué à L’Escogriffe, son premier spectacle à Montréal depuis des lustres. Annoncé seulement quelques heures plus tôt, ce doublé (un autre spectacle a eu lieu mercredi au même endroit) a vite affiché complet. Il ne s’agissait pas encore du grand retour du quintette en pause depuis 13 ans, plutôt d’un concert de réchauffement en vue de la tournée qui suivra la sortie, ce vendredi, d’un album inespéré intitulé Dans la seconde.

Il faisait terriblement chaud dans le caveau de la rue Saint-Denis où s’entassaient environ 200 fans, heureux de réentendre Louis-Jean Cormier, François Lafontaine, Martin Lamontagne, Julien Sagot et Stéphane Bergeron jouer ensemble. Sans doute contents de savoir qu’ils pourraient raconter longtemps qu’ils étaient là quand Karkwa a cassé ses nouvelles tounes à L’Esco avant la sortie de l’album.

La longue pause, concrétisée en 2012, après la tournée des Chemins de verre, album qui a valu au groupe le prix Polaris, n’a pas laissé de cicatrice visible ou audible. La cohésion du groupe était intacte. La seule chose qui a changé, c’est que Louis-Jean Cormier arbore ces jours-ci une moustache qui, avec sa tignasse frisée de plus en plus rebelle à mesure que le concert avançait et que la chaleur augmentait, lui donnait des airs de Frank Zappa ou de Charly Garcia. Il y a un peu de ces deux-là, d’ailleurs, dans le rock de Karkwa qui, sur Dans la seconde comme sur ses disques précédents, refuse les évidences.

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Le groupe dans le studio. Louis-Jean Cormier au premier plan.

Question de feeling

Les cinq gars de Karkwa avaient déjà la tête au concert du soir, lors d’une séance d’écoute organisée quelques heures plus tôt dans un studio de la rue Dandurand. « On est dans le live et ça fait un bout qu’on n’a pas réécouté l’album, explique Stéphane Bergeron. C’est pour ça qu’on fait le saut, parfois. En studio, on empile les tracks, mais en show, on le fait à cinq. Il faut faire des choix… ou créer autre chose. »

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Le batteur Stéphane Bergeron (au fond) et le bassiste Martin Lamontagne

On ne voulait pas tourner sans un nouvel album et on ne voulait pas tourner avec un disque qu’on n’aimait pas.

Stéphane Bergeron

Les idées passent de l’un à l’autre par un geste de la main, un regard ou quelques mots glissés dans une oreille. Il est vrai que de transposer la matière de Dans la seconde sur scène ne doit pas être une mince affaire : de tous les disques de Karkwa, c’est le plus riche et le moins direct. Il est puissant, mais a visiblement été construit en faisant beaucoup de copier-coller. « Si on l’avait fait dans les années 1970, on aurait joué de la lame », confirme Louis-Jean Cormier, évoquant le découpage des bandes magnétiques qui se faisait avant l’avènement du numérique.

Karkwa n’a pas envisagé son retour comme une opération commerciale. Ce retour est d’abord une affaire de feeling. « Si un gars de la gang avait dit qu’il ne le sentait pas, ça ne serait pas arrivé », assure François Lafontaine, précisant que cette réunion aurait été impossible sans les cinq membres originaux. « Le band, ce sont ces cinq gars-là, insiste le claviériste. Il se passe quelque chose quand on est les cinq ensemble. »

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Louis-Jean Cormier, chanteur de Karkwa, dans son studio du quartier Rosemont

Sauter dans le vide

Avant d’amorcer le travail, les musiciens s’étaient donné une règle : partir de zéro, pas d’ébauches amenées par l’un ou l’autre. « On ne se l’est pas donnée facile », estime Martin Lamontagne. Se retrouver après 10 ans d’absence pour composer de nouvelles chansons à partir de rien revient selon lui à sauter dans le vide. L’idée, selon Louis-Jean Cormier, qui mène une fructueuse carrière solo depuis son album Le treizième étage (2012), était de « désactiver le mental et d’y aller à l’instinct ».

On ne voulait pas trop penser, ne pas trop se demander si ce qu’on faisait ressemblait à du Karkwa ou pas.

Louis-Jean Cormier

L’approche a aidé le groupe à évoluer artistiquement, pense François Lafontaine, qui a notamment joué avec sa compagne Marie-Pierre Arthur ces dernières années. « Tout le monde a fait plein d’affaires ces dix dernières années, travaillé avec d’autres gens ou sur des projets solos, tout le monde a acquis un bagage artistique différent, souligne-t-il. Ça fait que même si on n’avait pas de tounes en arrivant en studio, on avait quand même quelque chose à proposer qui allait aider à sortir du cadre dans lequel on était habitués de travailler. »

Est-ce que Dans la seconde sonne comme du Karkwa d’avant ? Non. Est-ce du Karkwa ? Aucun doute là-dessus. On retrouve sur cet album ses idées de grandeur, son sens de l’aventure, son énergie rock, mais aussi une finesse nouvelle. On a le sentiment que le groupe ne s’est pas obligé à mettre la pédale au plancher. Il y a des lames de fond puissantes, mais aussi beaucoup de brisures et de dérapages contrôlés. « On aurait pu faire un disque beaucoup plus rock, comme on avait l’habitude de faire, mais on l’a gardé quand même assez chanson », constate Julien Sagot.

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Stéphane Bergeron, Martin Lamontagne, Louis-Jean Cormier et François Lafontaine en marge d’une séance d’écoute de leur album Dans la seconde

Effort de groupe

« Ç’a été vraiment agréable de pouvoir se reposer sur les copains, sur des oreilles extérieures, ajoute le percussionniste, qui a publié quatre disques à son nom depuis 2012. Quand on fait une carrière solo, c’est toujours soi-même, sur tous les fronts. » Ce détail est capital : entre eux, la confiance est totale sur le plan artistique. « Karkwa, c’est un band. Tout le monde a une idée sur les instruments de tout le monde, dit d’ailleurs le batteur, Stéphane Bergeron. Le mauvais côté de ça, c’est que, des fois, on peut parler longtemps avant de se mettre à jouer ! »

L’esprit de groupe s’affiche aussi dans le livret de l’album, dont toutes les chansons, paroles et musiques, sont signées Karkwa. Même les textes, pourtant écrits par Louis-Jean Cormier et Julien Sagot, qui comptent les lignes les plus touchantes entendues jusqu’ici chez Karkwa. Comme celles-ci, tirées d’À bout portant : « Et ta main qui s’agrippe à la mienne/En espérant que revienne le beau temps/En dehors comme en dedans… » Karkwa ose dire des choses qu’il n’aurait pas assumées plus jeune.

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Le plaisir est au rendez-vous chez les membres de Karkwa.

Vieillir, ça sert quand même bien à ça : à accumuler du bagage pour essayer et assumer certaines affaires.

François Lafontaine

Ce groupe est désormais bien mûr. « Il y a plus d’écoute et il y a moins d’ego, c’est important de le dire, estime François Lafontaine. Dans le temps, on était tout le temps ensemble, mais on ne savait pas vraiment ce qui se passait dans la vie des autres gars. Là, on peut avoir des discussions qui n’ont rien à voir avec la musique et, moi, c’est ce qui m’intéresse le plus.

« Je le sais qu’il sait jouer, qu’il peut composer ou qu’il peut écrire, dit-il en pointant vers l’un ou l’autre de ses camarades. Ce qui m’intéresse, c’est où ils sont rendus humainement. Où on est rendus tout le monde. Et de pouvoir partager ça. Je trouve ça important pour que ce soit sain. »

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