Peter Gabriel a voulu faire gober à la foule que le chanteur qui se tenait devant eux était en fait un avatar vieilli de 20 ans, avec 20 kilos en trop et sans un poil sur le coco. À travers l’artifice se trouvait un artiste de 73 ans en pleine possession de ses moyens, en tournée pour montrer qu’il a encore plein de choses à partager.

La dernière fois que Peter Gabriel était venu à Montréal, c’était pour jouer ses grands succès en compagnie de Sting en 2016, il avait fait de même à l’occasion de sa tournée Back to the Front en 2012. Il était aussi passé au Centre Bell deux ans plus tôt pour livrer les chansons de son excellent album Scratch My Back, constitué d’interprétations par Gabriel de pièces d’artistes qui ont à leur tour enregistré à leur façon des chansons du chanteur britannique dans l’album And I’ll Scratch Yours. Il faut donc remonter à juillet 2003 et la tournée Growing Up pour retrouver le dernier spectacle où l’artiste nous a présenté du matériel original.

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Le spectacle s’est amorcé sous l’éclat d’une immense lune projetée à l’écran.

Vingt ans plus tard, il a repris où il avait laissé, défendant les pièces d’un tout nouvel album à paraître – les extraits sont dévoilés au compte-gouttes à chaque pleine lune.

C’est d’ailleurs sous l’éclat d’une immense lune projetée à l’écran que le spectacle s’est amorcé, les neuf musiciens prenant place autour d’un « feu de camp » allumé par un éclat de météorite tombé du plafond.

Washing of the Water et Growing Up ont été jouées dans cette formule acoustique, après quoi les musiciens ont pris leurs places respectives à travers les mouvements que l’on aurait crus chorégraphiés d’une véritable armée de techniciens de scène tout d’orange vêtus. Il faut rappeler que Robert Lepage a agi comme conseiller artistique pour le spectacle i/o – il n’est certainement pas étranger à cette trouvaille.

Dynamique premier extrait de i/o, Panopticom permet aussitôt de constater que le chanteur septuagénaire est en parfaite forme, ou du moins que son avatar vieilli a été programmé de façon à conserver exactement la voix qu’il avait il y a 20 ans ! Ce sera la première de 11 nouvelles chansons réparties un peu partout au fil de la soirée, livrées pour la plupart avec aplomb.

« Je suis tellement content d’être ici ! »

Pendant l’entracte, le Centre Bell respire la bonne humeur – on y respirait autrefois autre chose, mais ça, c’est une autre histoire. Près de nous, Martin Beauregard nous raconte avoir vu son premier spectacle de Peter Gabriel en 1986 alors qu’il était au cégep. Comme pour d’autres spectateurs, les nouvelles chansons ne lui sont pas familières, mais il les accueille avec bonheur. « Je vois beaucoup de spectacles, et je dois avouer qu’il est vraiment en forme, sa voix est impeccable. Je suis tellement content d’être ici ! »

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La foule était heureuse d’être au rendez-vous.

Il faut dire que la première partie venait de se conclure avec une version endiablée de Sledgehammer, bonifiée par un solo de « talk-box » du claviériste Don E de même que par une petite chorégraphie de Gabriel et de ses vieux potes Tony Levin et David Rhodes. Vraiment, voir un monsieur d’un certain âge danser et chanter avec passion a quelque chose de beau et de réconfortant. Mais pourquoi diable faudrait-il que l’art du rock soit assorti d’une date de péremption ?

La deuxième partie en jette un peu plus sur le plan de la mise en scène, notamment pendant Darkness, où un écran translucide placé devant les musiciens permet de créer des jeux d’ombres chinoises, à la différence que les mouvements du chanteur sont reproduits dans la fraction de seconde ailleurs sur l’écran.

Impressionnant. Le dispositif reste en place pour Love Can Heal, mais cette fois, ce sont les mouvements du chanteur qui laissent leurs traces sur l’écran, serti tantôt d’étoiles, tantôt de gouttes de pluie. L’effet est saisissant.

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Peter Gabriel a livré une performance impressionnante.

Les pièces de i/o sont certes à la hauteur, mais ce sont les grands succès qui font le plus réagir, il va sans dire. Personne n’aurait reproché à Peter Gabriel de jouer ces pièces « comme sur l’album », mais ce n’est certainement pas la marque de commerce du chanteur britannique. C’est donc en utilisant la pleine puissance des neuf musiciens et chanteurs sur scène que Digging in the Dirt, Red Rain, Big Time et Solsbury Hill ont été jouées, la batterie véloce du maestro Manu Katché, les cuivres de Josh Shpak, le violon de Marina Moore et le violoncelle d’Ayanna Witter-Johnson ajoutant beaucoup aux arrangements. Comme tout ce beau monde chante aussi, soulignons la performance de Witter-Johnson, qui est allé rejoindre Gabriel sur une passerelle pour chanter Don’t Give Up ; le chanteur n’a absolument pas souffert de la comparaison devant la jeune musicienne qui a livré avec émotion et intensité la mélodie originalement interprétée par Kate Bush.

La soirée s’est achevée en rappel avec In Your Eyes et Biko, les dernières notes étant poussées par les milliers d’amateurs présents dans la salle. « Amusez-vous bien ! », nous a lancé le chanteur en lever de rideau : on s’est amusés au moins autant que vous, monsieur Gabriel !

Rectificatif
Contrairement à ce qui était écrit dans la première version du texte, la dernière prestation de Peter Gabriel à Montréal remontait à 2016 et non 2012. Toutes nos excuses.