Formé de trois ados de 14 ans, General Chaos nourrit chez les vieux punks l’espoir que leur genre musical de prédilection ne s’éteindra pas. Rencontre avec Constantin, Rémi et Zoë, amateurs de Green Day et de jus Fruité.

Constantin Blondy se confond en excuses. À l’heure dite de l’entrevue, le batteur de son groupe, Rémi Jacques, n’est pas encore revenu de son excursion au dépanneur. « Il est allé chercher du Kool-Aid », explique le leader de General Chaos, pendant qu’il jette un œil inquiet à son cell et que nous tentons de le rassurer : des batteurs en retard, et pour de vraiment moins bonnes raisons que celle-ci, le journaliste en a vu d’autres.

General Chaos est formé de trois ados de 14 ans et pourtant, leur étoile sur la scène punk montréalaise brille déjà très fort, leurs deux participations à l’important Pouzza Fest (en 2022 et 2023) en faisant foi.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Constantin Blondy

Rémi finit par apparaître à l’horizon, sur son vélo, mais sans son butin. « Il n’y avait pas de Kool-Aid. » En lieu et place du jus trop sucré : une bouteille de deux litres de liqueur brune et une tablette de chocolat. « Redonne-moi mon change, là », lui intime Constantin. Après avoir fouillé ses poches, l’ami matérialise trois pièces de 25 cents.

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Rémi Jacques

Ce samedi après-midi là, alors qu’il s’apprête à jouer en soirée sur la scène extérieure de l’Entrepôt 77, à l’angle de Saint-Laurent et de Bernard, Constantin arbore une chemise du groupe californien Social Distorsion (le diagnostic de cancer du chanteur Mike Ness l’a beaucoup remué). Rémi, lui, un t-shirt de General Fools, ce groupe local du début des années 1990 dont ils ont récemment assuré la première partie à la mythique Casa del Popolo.

Quant à Zoë Chapman, la bassiste, son polo de l’école à vocation artistique FACE, qu’ils fréquentent tous les trois, semble être passé entre les mains de Vivienne Westwood.

Au dos, une patch faite maison hurle : Kill General Chaos. Elle a appris à manier la quatre cordes en quelques semaines, l’automne dernier, spécialement pour se joindre à General Chaos, raconte la rouquine qui pianote depuis ses 4 ans, grâce à l’insistance de son papa, Owen Chapman, compositeur et prof à Concordia.

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Zoë Chapman

À une bonne dizaine de mètres du petit bout de parc où nous nous sommes installés afin de nous entendre jaser pendant le fracassant test de son du groupe Têtaards Strippers, Karim, le père de Constantin, garde son fils et ses amis à l’œil.

« J’essaie d’être là pour eux, de leur apprendre à être responsables, mais je ne veux pas trop te parler, parce que je ne veux pas leur foutre la honte », prévient gentiment celui qui a longtemps été batteur du Karlof Orchestra. « C’est leur projet à eux. »

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General Chaos sur scène

Merci les Ramones

Le papa était néanmoins étonné le jour où on lui a montré une vidéo de son fils jammant avec Rémi des chansons des fondateurs du punk new-yorkais, les Ramones, dans la cafétéria de leur école secondaire. Étonné, parce que la greffe avait manifestement bien pris et que sa progéniture, qui rechignait à jouer du Ramones avec son père et sa sœur, à la maison, en jouait maintenant de son plein gré, sur son heure de dîner.

Qu’admirent-ils chez les Ramones ? « Ben… c’est les Ramones, là », répond laconiquement Rémi, ce qui est peut-être la meilleure réponse possible à cette question. L’amour du punk lui a aussi été transmis par son père, Fred Jacques, guitariste de la formation The Sainte Catherines.

Constantin se risque à préciser sa pensée : « Selon moi, les Ramones, ça définit ce qu’est le punk. C’est très simple, mais l’énergie te donne envie de te jeter par terre ou de faire un mosh pit. »

Émouvoir les vieux

Jusqu’à il y a quelques mois, General Chaos s’était surtout produit devant des publics d’adultes à l’œil humide, émus que le genre musical qui leur a sauvé la vie continue d’en influencer d’autres. « Il y a de l’espoir pour l’humanité », proclame une story Instagram captée lors de leur premier spectacle officiel, en mai 2022 au Pouzza Fest.

Mais ce samedi-là, à l’Entrepôt 77, la foule grouille de jeunes gens extatiques, qui font le pogo pendant que Rémi martèle la batterie avec une fascinante solidité et que Constantin peine à cacher sa joie derrière sa mine studieusement désinvolte.

Zoë, elle, se laisse tout entière submerger par l’euphorie. C’est qu’au-delà de la colère, le punk a toujours aussi été la trame sonore de ceux et celles qui trouvent enfin leurs semblables.

Constantin et Rémi le confirment : leurs camarades de classe n’écoutent pas Operation Ivy ou les Dead Kennedys. « Ils écoutent du Drake… », laisse tomber le batteur sans parvenir à camoufler son dédain.

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General Chaos sur scène

De l’utilité de la grosse poutine

De quoi parlent leurs chansons ? Des titres comme High School, Wasting My Time et Boredom nous en donnent d’emblée une idée. « Le thème de Constantin, c’est les trucs qui le gossent à l’école », résume Zoë. C’est que, comprenez-vous, il doit se réveiller chaque matin à 6 h afin d’arriver à temps à FACE, à 8 h. Le supplice.

Et celles écrites par Zoë, elles ? « Elles parlent d’amour et de sentiments », observe Constantin. « Et une fois, ça ne s’est pas bien fini », confie la principale intéressée, qui a appris à la dure une leçon par laquelle tous les auteurs-compositeurs passent tôt ou tard. « J’ai écrit une chanson [Adoring You] pour une personne que j’aimais vraiment et que je n’aime plus du tout. C’est un peu awkward de la chanter. »

General Chaos a amorcé l’année 2023 en déposant sur Bandcamp un démo de quatre chansons enregistré en sept heures avec Ryan Battistuzzi (Malajube, Les Breastfeeders, Gazoline), le réalisateur et mixeur de référence en matière de rock qui torche. Le trio entend remettre ça, pour un véritable album, d’ici la fin de l’année.

Le secret de leur énergie de scène ? « On boit du Kool-Aid ou n’importe quoi qui a du sucre dedans », élucide Constantin. « Du Fruité, c’est encore mieux, précise Zoë. Et la journée d’un show, après avoir jammé chez Constantin, on va toujours manger une grosse poutine au Lafleur. »

Visitez la page Bandcamp de General Chaos