La manière d’Émile Bilodeau a toujours été brute, engagée et enthousiaste. Son plus récent disque commence à en montrer les limites.

Piano qui swingue, trompette qui souffle des rubans bleutés, contrebasse qui se donne des airs cool et guitare nocturne aux reflets cristallins, la pièce-titre du nouvel album d’Émile Bilodeau ouvre les portes d’un jazz-bar. On ne sait ni où ni à quelle époque on se trouve, mais on devine avant même qu’il ne le chante que c’est le lieu de rendez-vous des éclopés de la vie ou de l’amour, le refuge où ils rêvent de mieux tout en noyant leur désespoir.

Sur ce morceau-là, le chanteur joue les barmans, observateur désabusé d’une faune qui fait pitié, rôle dont il a ras-le-bol, mais qui lui évite peut-être de se retrouver à la place d’un de ses clients… Il scrute d’autres dérapages – sociaux et politiques – sur L’amour au temps de la fin des temps, dans laquelle il campe un jeune père qui se raconte à son enfant. Chante une rupture amoureuse dans La saison des sucres (« Le sais-tu que ça m’fait mal/Depuis qu’on s’aime pu égal »).

Le ton est jazzy ici, bluegrass là (Les Daisy), l’élan swing est récurrent, mais ce qui ne change pas, c’est Émile Bilodeau. Pour le meilleur et le pire. Il mord dans ces nouvelles chansons comme il le faisait dans ses précédentes : avec un sourire en coin, un bagout parfois mal léché et de ce ton qui manque de fini qui le rend attachant, mais aussi un brin irritant. Son chant est spontané, soit, mais son phrasé est souvent brusque, mal canalisé.

On oublie ses limites comme interprète quand il sert des textes où les images soignées côtoient la poésie de fond de tonne. Dans les chansons aux textes plus faibles comme l’anecdotique Malentendu ou Mauvais temps, où il tricote assez maladroitement autour des temps de verbe comme si c’était là une idée de génie, ça grince pas mal et ça accroche dans les coins. Ça va mieux quand il a la critique joyeuse (Y faut c’qui faut) ou qu’il dialogue de manière ironique avec son cœur (Compromis) sur une musique rétro.

Au bar des espoirs offre de bons moments, s’avère souvent relevé musicalement, mais donne aussi à penser qu’après ses débuts fracassants, Émile Bilodeau en est peut-être rendu à ralentir la cadence. Prendre le temps de laisser mûrir l’artiste qu’il est et la vision du monde – critique, caustique, tendre ou baveuse – qu’il fait déjà partager avec succès pourrait, se dit-on, le mener plus loin encore.

Extrait de Les Daisy

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Au bar des espoirs

Chanson

Au bar des espoirs

Émile Bilodeau

Bravo Musique

6/10