Dans Entre le meilleur et le pire, un artiste revisite, une chanson à la fois, les sommets et les vallées de son œuvre. Michel Rivard, qui était intronisé mercredi au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens et qui lance vendredi un nouvel album en spectacle, Le tour du bloc, nous a ouvert les portes de sa mémoire.

La chanson que tu n’en peux plus de jouer

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Michel Rivard

Il y a une grande période, après la première fin de Beau Dommage, où je ne jouais plus La complainte du phoque en Alaska, parce que j’étais tanné et prétentieux. Puis à un moment donné, la même année, j’ai vu en spectacle Neil Young, Leonard Cohen, Paul Simon et James Taylor, et les quatre ont fait toutes les tounes que j’avais envie d’entendre. À partir de ce moment-là, j’ai décidé de la refaire, sans me poser de questions, du mieux que je pouvais. Et le goût est revenu. La réaction de bonheur du public est toujours palpable.

Ta reprise préférée d’une de tes chansons

Diane Dufresne qui interprète L’oubli ou Le retour de Don Quichotte, ça fessait dans le dash.

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Rivard (troisième à partir de la gauche) lors d’un hommage à Félix Leclerc (à l’avant) en février 1980

Mais c’est sûr qu’en 1975, quand Félix Leclerc, quelques mois après la sortie du premier album de Beau Dommage, nous a invités à une écoute privée de sa version de La complainte, on se pinçait. Non seulement il reprenait ma toune, mais il la jazzait et, en plus, avant qu’on l’écoute, il me dit : « Tu vas voir, j’ai changé un mot. » Quand je l’ai entendu chanter « Il imagine sa blonde faire un show » [et non « Y voudrait voir sa blonde faire un show »], j’ai compris que j’aurais dû travailler plus fort.

Extrait de La complainte du phoque en Alaska (reprise par Félix Leclerc)

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Ta chanson préférée parmi celles que tu as écrites pour d’autres

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Isabelle Boulay et Michel Rivard au Gala de l’ADISQ en 2007

J’aime beaucoup le texte de La guitare de Jérémie [de Patrick Norman], Entre Matane et Bâton Rouge [d’Isabelle Boulay] et Seulement qu’une aventure [d’Offenbach]. Ç’a été mon premier essai pour Gerry [en 1985] et j’ai travaillé très fort à me chanter dans ma tête ces mots-là avec ses roulements de R à lui. « Je gardais dans mon cœur de cuir / toutes mes amours en statues d’cire / tu les as fait fondre avec un sourire », j’étais chez nous et j’avais hâte de l’entendre chanter ça.

Extrait de Seulement qu’une aventure, d’Offenbach

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La chanson que tu préférerais ne pas avoir enregistrée

Le cœur sur la corde raide [de l’album Un autre jour arrive en ville de Beau Dommage en 1977], je trouve ça épouvantable. C’est moi qui essaie de faire du reggae. C’est de l’appropriation culturelle ratée et le texte, fouille-moi de quoi ça parle.

Il y a aussi des chansons que je ne désavoue pas exactement, comme Rumeurs sur la ville [1983], mais à un moment donné, il faut se rendre à l’évidence : je ne suis pas un rockeur, je suis juste le roi de la ballade.

La chanson que tu aimerais corriger

Dans Un autre jour arrive en ville, il y a de belles idées, mais on sent trop que je veux être Bruce Springsteen et écrire de grandes images sur la nuit.

Extrait d’Un autre jour arrive en ville

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Ton monologue préféré

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Rivard au Spectrum, en mai 1988

J’aime bien sur le nouvel album le monologue où j’explique la genèse de La valse de l’idiot et d’Un trou dans les nuages. Mais c’est sûr que le premier monologue de Drobny Orobné [sur Bonsoir mon nom est Michel Rivard et voici mon album double en 1985] est marquant. Il y a beaucoup, dans les monologues de cette époque-là, des bouts d’improvisation qu’on faisait à table avec des amis. Ça se peut que j’aie piqué une ligne ou deux à Claude Meunier. Et il y avait peut-être aussi l’influence d’Andy Kaufman dans Taxi.

La chanson que tu as eu le plus de plaisir à réarranger pour la présente tournée

Tombé du ciel a pris une autre dimension. Dans L’origine de mes espèces [2019], on avait joué la carte de l’intimité, mais là, avec les vents et les chœurs opératiques, il y a chaque soir un frisson qui traverse la salle.

Ta chanson qui t’émeut le plus

C’est encore L’oubli [1992]. Elle me rappelle le personnage principal, que j’ai bien connu, Claude Jutra. Mais ce n’est pas nécessairement une chanson sur Claude Jutra, c’est une chanson qui en est inspirée. Il était propriétaire de la maison où je louais une chambre sur l’avenue Laval. C’est un monsieur qui m’émouvait par sa solitude. Il commençait à en perdre des bouts. Et quand je l’ai revu quelque temps après, sa maladie [l’Alzheimer] s’était beaucoup aggravée. Ça m’a pris plusieurs années pour être capable d’écrire la chanson.

Extrait d’Oubli

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Quand est arrivé en 2016 ce qu’on a appelé l’affaire Claude Jutra, je ne me suis pas prononcé. Je crois les gens qui ont des doléances par rapport à lui, mais ce que j’aurais pu dire à l’époque, c’est que cette chanson est loin d’être un hommage. C’est un constat triste sur une vie triste qui s’est éteinte encore plus tristement.

La reprise que tu as abandonnée le plus rapidement

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Beau Dommage en mai 1976

Le premier gros succès de salle de Beau Dommage, c’était à l’Hôtel Nelson. Un soir, dans la cuisine qui nous servait de loge, on voit arriver trois gars d’Offenbach : Pierre Harel, Willie [Michel Lamothe] et Wézo [Roger Belval]. On se dit tous : ils viennent nous tuer. Mais au contraire, ils nous ont sauté dans les bras. Pierre Harel, un peu mythomane, nous dit : « Vous autres, vous êtes les Beatles, nous autres, on est les Stones. » Et il ajoute qu’ils vont revenir la semaine d’après.

Entre-temps, on commence à gosser une version folk, un peu cute, de Câline de blues et en se disant : si Harel revient, on va la faire. Harel rentre dans la loge après le show et la première affaire qu’il dit, c’est : « Ne jouez plus jamais ça. »

L’album le plus mythique auquel tu as failli participer

Deux cents nuits à l’heure de Fiori-Séguin, en 1978. Pierre Huet, François Bouvier et moi, on partait avec Serge [Fiori] dans son vieux Valiant, passer trois, quatre jours avec Richard [Séguin] à Saint-Venant. On capotait sur la vie là-bas, sur la petite communauté de hippies qui s’entraidaient. Et on commençait à gosser des tounes. Je suis pas mal sûr qu’il y a une phrase ou deux dans Ça fait du bien qui viennent de moi.

Mais je suis parti pour l’Europe avec Beau Dommage et j’ai décidé de rester à Bruxelles. J’ai manqué le bateau de Fiori-Séguin, mais j’ai écrit mon premier album solo, Méfiez-vous du grand amour.

Le compliment le plus étonnant que tu as reçu

Pendant la tournée de l’album Sauvage [paru en 1983], dans un spectacle en plein air à Gatineau, il y avait trois gars en avant de la scène avec des drapeaux québécois qui étaient chaudailles ou gelés, mais qui en tout cas trippaient très fort. À la fin, je vais les saluer et un des gars me dit : Michel, t’es notre Ozzy ! [Immenses rires] Où il a pris ça ? J’aurais aimé qu’il me présente son pusher.

La phrase tirée d’une de tes chansons qui te représente le mieux

« Dans l’nord d’la ville, d’une ville du Nord, y a un ti-cul qui cherche encore le fil de sa mémoire. » [Dans La lune d’automne, 1992]

Ta chanson dont tu es le plus fier

La prochaine.

Le tour du bloc –L’album du spectacle

Folk rock

Le tour du bloc –L’album du spectacle

Michel Rivard et le Flybin Big Band

Spectra
Offert vendredi