Christian Blackshaw est un pianiste jouissant d’une certaine réputation dans Mozart, d’où notre désir de l’entendre pour son retour à la salle Bourgie jeudi soir. La déception fut cependant proportionnelle à nos attentes.

Anecdote personnelle : notre première affectation à La Presse, le 12 mars 2020, devait nous permettre d’entendre Christian Blackshaw à Bourgie. Ce fut toutefois un rendez-vous manqué, le Grand Confinement ayant été décrété quelques heures avant le récital.

Ce n’était évidemment que partie remise. Mais « partie » a beau être synonyme de « jeu », l’artiste ne s’est pas amusé plus qu’il ne faut avec un matériau musical qui s’y prête pourtant au plus haut point.

On a l’impression, tout au long, de voir quelqu’un polir patiemment chaque pièce de son argenterie. Mais tout ce qui brille n’est pas or…

Il faut quand même rendre justice à Christian Blackshaw pour ses magnifiques mouvements lents tendres et chantants. Mais comment en jouir quand on a été à ce point indisposé par des mouvements rapides où la verve mozartienne brille cruellement par son absence ?

Un mouvement lent est habituellement une oasis entre deux tempêtes. Si ces dernières restent dans leur verre d’eau, l’oasis perd quelque peu de son enchantement.

On le constate dès l’Allegro con spirito (« avec esprit » !) de la Sonate en do majeur, K. 309, où les croches de l’accompagnement sont tellement détaillées qu’elles volent la vedette à l’irrésistible mélodie de la main droite. Il ne se passe également pas grand-chose à l’arrivée du développement, où la partition passe abruptement du sol majeur de la fin de l’exposition au sol mineur, un peu à la manière d’un éclair dans un ciel bleu.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Christian Blackshaw renoue avec le public montréalais après un rendez-vous manqué, le 12 mars 2020, quelques heures après le Grand Confinement au Québec.

Dans le rondo final, c’est la basse d’Alberti (formule d’accompagnement conventionnelle à l’époque de Mozart) qui prend toute la place alors qu’elle devrait demeurer en filigrane. Chaque note est pro-non-cée, quand on attendrait des phrases qui regardent vers l’avant.

Une fois rendu à l’œuvre suivante, la Sonate en la majeur, K. 331, on se surprend à consulter sa montre tellement le temps s’étire, le pianiste étant en outre particulièrement friand des reprises. L’arrivée de la troisième variation, qui nous fait passer abruptement du mode majeur au mineur, ne fait pas ciller l’interprète, qui conserve tout au long son flegme britannique.

Dans le menuet, comme à d’autres moments de la soirée, on regrette la trop grande égalité des gammes rapides, dont on attend en vain une certaine volubilité. Cela ne s’est pas arrangé après l’entracte, avec la Sonate en fa majeur, K. 533/494, et la Sonate en ré majeur, K. 576.

Le son est tout au long magnifique, avec une gestion millimétrée de la pédale, mais à quoi bon, quand le discours qui en est le support est aussi lénifiant ?

Foin de ce Mozart de porcelaine pour five o’clock tea ! Le « divin » Mozart était un monstre de volupté, un esprit d’une vivacité éblouissante, pas un angelot à épousseter par jour d’ennui !

Le rappel du pianiste, d’une longueur inhabituelle, nous a permis d’entendre l’Adagio en si mineur, K. 540, du compositeur autrichien.