Icône du reggae africain, Tiken Jah Fakoly amorce une courte tournée québécoise à Montréal, où il vit désormais à temps partiel. La Presse l’a rencontré à quelques pas de chez lui pour parler d’engagement et des risques qu’il court à user de sa liberté d’expression.

Vous faites du reggae politisé depuis 25 ans dans un monde qui change peu : ça vous épuise ?

Je garde le cap parce que je sais que c’est un combat noble, qui mérite d’être mené. Quand tu es en mission pour une cause, tu ne peux jamais être sûr des résultats que tu obtiendras. Les retombées du combat contre la ségrégation de Martin Luther King sont venues après sa mort. Alors non, je ne m’épuise pas : je continue ce combat pour la justice et l’égalité.

Vous chantez en diola, en bambara et en anglais, mais surtout en français. Pourquoi ?

J’ai commencé ma carrière en France en 1998, alors il était important d’ouvrir mon message aux Français. Maintenant, j’ai envie de m’ouvrir à l’anglais, il y a trois chansons en anglais sur mon dernier disque. Pour faire comprendre le combat que je mène, je dois être entendu.

Extrait de Le pays va mal

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Est-ce que chanter en français est aussi façon de vous faire comprendre dans différents pays d’Afrique ?

Juste dans mon pays, en Côte d’Ivoire, il y a 62 ethnies. Pour que je puisse me faire comprendre par tous, je dois chanter en français. C’est la langue coloniale, mais elle a un côté positif : c’est une langue commune. Elle permet aussi aux Québécois d’avoir accès à mon message.

Êtes-vous un révolutionnaire ? Un rebelle ?

Je suis ce que les gens pensent que je suis en écoutant mes chansons. Je suis en mission pour le reggae, pour continuer le combat que Bob Marley a commencé. Je suis sûr qu’il continuerait s’il était encore vivant : il parlait d’unité africaine et l’Afrique n’est pas unie, il parlait de racisme, d’injustice, d’inégalités et tout ça n’est pas fini.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Tiken Jah Fakoly aux Francos, en 2017

Il vous arrive de nommer des gens ou des régimes, dans vos chansons. Cela vous met-il encore en danger ?

Il m’est arrivé d’aller au Congo pour un concert, et les autorités m’ont retenu à l’aéroport et tout de suite remis dans l’avion. De 2007 à 2010, je ne pouvais pas aller au Sénégal, parce que j’avais dit en concert que le président, Abdoulaye Wade, souhaitait que son fils lui succède, mais ne voulait pas qu’il soit attaqué. J’avais dit que quand on ne veut pas que son fils subisse des attaques [politiques], on le laisse dans son berceau à la maison… Il faut appeler un chat un chat et je pense que c’est ma particularité : beaucoup d’artistes reggae utilisent des paraboles, moi, je dis les choses directement.

Quelle est votre relation avec la Côte d’Ivoire actuellement ?

Je vis toujours au Mali, mais je vais souvent en Côte d’Ivoire. J’ai une radio là-bas qui diffuse du reggae, la seule bibliothèque d’Afrique consacrée au reggae, deux salles de répétition et un studio où j’ai enregistré mes deux derniers albums. Je ne suis pas l’artiste qui peut avoir des commanditaires facilement en Côte d’Ivoire, je ne suis pas non plus celui qui sera décoré par les autorités, mais je peux aller là-bas. Le reggae est une musique libre, un contre-pouvoir qui ne doit jamais s’aligner avec les autorités.

Extrait de Gouvernement 20 ans

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De quoi parle votre chanson Gouvernement 20 ans ?

Il y a une sorte de mode en Afrique où, quand tu es considéré comme un opposant au régime, tu prends 20 ans [de prison]… J’ai fait la chanson pour dénoncer ça et j’ai voulu qu’elle devienne populaire pour que les juges qui sont à la solde du pouvoir se disent : « Merde ! Ils ont compris notre jeu ! »

N’avez-vous pas peur d’en prendre pour 20 ans quelque part ?

Si on choisit de dire les choses, il ne faut exclure aucune punition. Le plus important, c’est que je n’aille pas en prison parce que j’ai violé, tué ou manigancé. Si je vais en prison 20 ans pour ma liberté d’expression, je pense que mon sommeil ne sera pas troublé. Je ne le souhaite pas, évidemment.

En concert ce mercredi au MTelus, puis à Sherbrooke (jeudi), à Québec (vendredi) et à Saint-Casimir (samedi)

Qui est Tiken Jah Fakoly ?

Originaire de la Côte d’Ivoire, Tiken Jah Fakoly fait du reggae politiquement engagé depuis 25 ans.

Il s’est exilé au Mali au début des années 2000, menacé pour avoir critiqué le succès du régime Kabila. Il vit aujourd’hui entre le Mali et le Québec, où il a deux enfants.

Il a fait paraître une douzaine d’albums depuis 1999.

Consultez la page du spectacle au MTelus