Que signifie être Québécois ? C’est la question que semble se poser Jérôme 50 dans Antigéographiquement, son deuxième album qui arrive cinq ans après La hiérarchill. Entrevue à quelques jours de sa rentrée montréalaise.

« Même moi, j’ai de la misère à cerner c’est quoi », répond le chilleur de Québec, qui croit une chose : le Québec « meurt d’envie de vivre ». « On aime notre territoire, mais en même temps, on ne veut pas le définir de façon politique. »

La question nationale est un des principaux axes d’Antigéographiquement, un mot qu’il a « modestement inventé ». Jérôme 50 y évoque Elvis Gratton, Trudeau père et la question référendaire, mais si on a l’impression qu’il est un des artistes québécois les plus politiques depuis Loco Locass, son constat est moins existentiel que « cynique », dit-il.

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« La seule manière de faire du Québec un pays, c’est de faire l’indépendance sans les institutions », croit l’ex-musicien de rue, qui estime que c’est justement là, dans la rue, que réside l’espoir.

L’auteur-compositeur-interprète explique que les deux autres axes de l’album sont « la mort et le temps qui passe », ainsi que l’amour, qui se décentralise à cause de la technologie. « Qui se dégéographise, pour le meilleur et pour le pire. »

Il les explore à travers une série de portraits tragicomiques, que ce soit celui du clown triste de Baboune le clown, à travers une discussion entre deux anciens camarades du secondaire qui se croisent au coin d’une rue dans Le bac des objets perdus, ou avec ce garçon qui perd sa virginité grâce à Tinder dans À chaque torchon son dégât (que l’on peut entendre en achetant la version deluxe de son album, où quatre autres chansons exclusives se retrouvent également). C’est qu’il a beau vouloir porter un regard philosophique sur le suicide ou la pornographie, l’univers de Jérôme 50 reste amusant, parfois même un brin puéril.

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« J’aime bien rire », confirme celui qui s’est inspiré beaucoup de l’écriture de Brassens, particulièrement de son art de la chute, et qui préfère la dérision à la morale. « Je suis un peu l’héritier du legs des Cowboys Fringants, de Dédé Fortin, de Desjardins. » Mais à travers toutes ces influences, qu’on entend très bien sur l’album, qui est Jérôme 50 ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jérôme 50

Je suis l’intello qui joue au p’tit bum. Et le p’tit bum qui joue à l’intello. C’est lui, Jérôme 50. Dans tous les cas, il essaie. Et dans tous les cas, il joue.

Jérôme 50

Et il tire dans plein de directions, avec des chorales d’enfants, des duos avec des chanteuses à la Angus & Julia Stone, qu’il aime beaucoup – « C’est le fun de raconter des histoires avec une autre voix, ça donne une autre dimension » –, des cordes, des cuivres, quatre bassistes, trois batteurs… « Le défi du réalisateur Simon Kearney, ça a été de faire un tout le plus cohérent possible, malgré la divergence des styles. »

C’est vrai : Antigéographiquement va du néo-trad au disco, de la chansonnette française au ska, du punk-rock au country. Il rit.

« C’est un album de buzzé ! Ce n’est pas parce que tu fumes du pot ou que tu fais du mush que ça veut dire que tu fais de la musique de stoner. Moi, j’écris des chansons. Québec et bobo, c’est une toune de buzzé, au même titre que l’était La hiérarchill. »

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L’effet Tokébakicitte

On l’avait découvert avec amusement avec des chansons comme Chaise musicale, mais c’est justement la néo-trad Tokébakicitte qui a vraiment fait connaître Jérôme 50 du grand public. Sortie comme un single en 2021, elle accumule 4,5 millions d’écoutes sur Spotify seulement et 2,5 millions de vues sur YouTube, et a joué vraiment beaucoup et partout.

C’était drôle d’aller voir les Remparts au Centre Vidéotron et d’entendre ma toune. Mon coiffeur m’a dit qu’il l’avait entendue au Canadien !

Jérôme 50

Tokébakicitte, qu’il a incluse dans l’album, est en quelque sorte devenue son We Will Rock You. Il ne sait trop expliquer le pourquoi de ce succès.

« Ce n’est pas moi qui l’ai écrite. C’est la chanson qui m’a dit : Jérôme, écris-moi. Elle devait exister. J’ai eu la chance de pouvoir l’écrire, sinon ça aurait été quelqu’un d’autre. »

Nouvelles couleurs

L’auteur-compositeur-interprète se prépare à partir en tournée – il sera entre autres en spectacle à La Tulipe à Montréal le 16 novembre –, et travaille toujours sur son dictionnaire du chilleur, son gros projet dans lequel il met tout son amour et sa connaissance de la langue québécoise d’aujourd’hui.

Ça va être un gros dictionnaire, tu t’attends même pas à ça. Ça fait cinq ans que je l’écris. C’est éprouvant, c’est une condamnation. J’ai été condamné à l’écrire. Il devrait paraître à l’automne 2024, et ce sera une grosse claque dans la face.

Jérôme 50

Jérôme 50 rêve d’un Québec émancipé qui ne souffrirait plus « d’insécurité linguistique ». Mais la seule manière pour le « français québécois » de perdurer dans le temps, croit-il, est de mettre en valeur ses nouvelles couleurs.

« C’est ce que je fais dans le dictionnaire, avec beaucoup d’emprunts haïtiens, arabes, anglais, du slang, de l’argot, et du français québécois plus populaire. »

C’est aussi cette langue vernaculaire qu’il utilise dans ses chansons construites avec toute la rigueur qu’il a acquise dans ses études en linguistique. Il travaille le fond à partir de la forme – comme Brassens encore –, une contrainte qui explique qu’il lui a fallu cinq ans entre ses deux albums. Bref, il aime se donner du trouble.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jérôme 50

« C’est plus le fun de se battre. De relever des défis insurmontables. Puis il faut être conscient que les gens ont autre chose à faire que d’écouter notre musique. Quand le public pourra écouter mes chansons, il aura un tout qui est défini. Cet album ne laisse pas vraiment place à interprétation. Il veut dire ce qu’il veut dire. »

Et que lui souhaite-t-il, justement, à cet album ? « Que le monde devienne un peu plus punk. Le climat sociopolitique stagne, il est lassant, on est lassés. J’ai 29 ans et je commence à être désillusionné. Je me dis : fuck man, il faut retourner dans la rue ! Il faut sortir le punk en nous. »

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