Déception, sur le coup, jeudi, d’apprendre l’annulation du pianiste Sergei Babayan au Festival Bach au profit d’un – en ce qui nous concerne – illustre inconnu. Appelé en renfort, le jeune pianiste géorgien Nicolas Namoradze a amplement sauvé les meubles à la salle Bourgie.

Le récital de Babayan, qui nous avait offert un mémorable premier cahier du Clavier tempéré de Bach il y a deux ans, devait être un des hauts faits du présent festival. C’est une mauvaise grippe qui, nous informe-t-on, l’a cloîtré chez lui. Ce n’est que partie remise, d’autant que le musicien est un habitué des concerts montréalais.

Âgé de 31 ans, Nicolas Namoradze est déjà tout un phénomène. Après avoir grandi en Hongrie, il a étudié le piano à la Juilliard School avant de gagner le réputé concours Honens de Calgary en 2018. Actif comme compositeur, il a également fait des études avancées en neuropsychologie en lien avec l’interprétation musicale.

Au concert comme au laboratoire

Il est dommage que près de la moitié des spectateurs aient choisi de bouder Namoradze qui, si on en croit sa notice biographique, fait souvent salle comble à travers le monde. Ils ont raté un récital d’une rare distinction.

Distinction dans le choix très « intello » du programme. Si la seconde partie était consacrée à la grande Sonate en si bémol majeur, D. 960, de Schubert, la première faisait une certaine place au héros du festival avec un extrait de L’art de la fugue et la Suite française no 1 en ré mineur, BWV 812, mais aussi à un des « fêtés » de l’année, Ligeti (c’est le centenaire de sa naissance), avec la délicate Étude no 11, « En suspens », et à Rachmaninov, un des compositeurs fétiches du pianiste remplaçant.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Nicolas Namoradze à la salle Bourgie, jeudi soir

Rachmaninov-Namoradze, devrait-on dire, puisqu’il s’agit, d’une part, d’une paraphrase sur une mélodie du compositeur russe, d’autre part d’une transcription de l’Adagio de sa Symphonie no 2 en mi mineur, opus 27. Dès les premières notes dans le suraigu de Memories of Rachmaninoff’s Georgian Song, le pianiste nous fait tendre l’oreille avec ravissement pour goûter les magnifiques couleurs qu’il extrait du grand Steinway.

L’artiste est sensible non seulement à la résonance de l’instrument, mais également au chant qui en émane. On a l’impression, du début à la fin du concert, d’une longue mélodie continue, soutenue avec tendresse et beauté.

Spécialiste de la pleine conscience chez le musicien (c’est sa spécialisation en neuropsychologie), Namoradze applique au concert ce qu’il étudie au laboratoire. Jamais on n’a l’impression d’un corps à corps avec l’instrument, mais davantage d’un tête-à-tête empathique toujours ouvert sur ce que la spontanéité du concert peut faire surgir.

Le pianiste a cependant le défaut de ses qualités. Dans les morceaux plus rythmiques, le souci du chant, qui abolit presque la barre de mesure dans les deux premiers mouvements du Schubert, bride passablement le rebond de la pulsation, comme dans la Courante de la Suite française, le Contrepoint VI de L’art de la fugue ou le Scherzo de la sonate. Mais le musicien assume à fond sa démarche et on ne peut être qu’impressionné par la puissance de sa proposition.

Très généreux, Nicolas Namoradze a offert trois rappels, un très costaud, la Sonate no 4, op. 30, de Scriabine, une pièce brève de ce dernier (que nous n’avons pu identifier) et la Gymnopédie no 1 de Satie.