Après son retour plus que réussi sur disque, Karkwa renouait avec son public montréalais jeudi au MTelus. Ce fut grandiose.

L’absence de Karkwa, ces 12 dernières années, a contribué à son mythe. Le groupe a débranché ses amplis alors que son album Les chemins de verres (2010) avait remporté le Prix Polaris et au terme d’une tournée qui l’avait porté loin du Québec. Karkwa est parti au faîte de sa gloire, à l’époque.

La cote d’amour dont jouissent Louis-Jean Cormier (guitare et chant), François Lafontaine (claviers multiples, chœurs), Martin Lamontagne (basse), Stéphane Bergeron (batterie) et Julien Sagot (percussions, guitare) n’a pas diminué, mais augmenté ces dernières années. La preuve : jeudi, le quintette se produisait dans un MTelus archicomble. Ce n’était que le premier de quatre soirs ces jours-ci et une supplémentaire a même été ajoutée en novembre 2024…

Le temps qui a passé fait aussi en sorte que le groupe qu’on a eu sous les yeux et dans les oreilles est bien meilleur qu’avant. Louis-Jean Cormier et François Lafontaine demeurent les points d’ancrages et d’envols des chansons de Karkwa, mais on sentait sur scène une énergie plus « horizontale ». Jamais ces cinq musiciens n’ont semblé plus en phase les uns avec les autres, jouant leur rock éclaté avec une puissance et une précision hallucinantes.

Patrick Watson en surprise

La magie a commencé à opérer avant même l’entrée en scène de Karkwa. Un peu avant 21 h, le rideau s’est levé, laissant apparaître une tête ébouriffée installée devant un piano droit. Non, ce n’était pas François Lafontaine, mais Patrick Watson, venu interpréter quatre chansons (dont une en duo avec Marie-Pierre Arthur) pour rappeler qu’à ses débuts, il avait fait la première partie de Karkwa. Ce fut beau et aérien. Exceptionnel, aussi : il n’est pas censé chanter lors des prochains concerts au MTelus.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Patrick Watson a fait une apparition surprise pour interpréter quatre chansons, dont une en duo avec Marie-Pierre Arthur.

Karkwa a pris la scène peu après et amorcé son spectacle comme débute son disque Dans la seconde, en enchaînant Ouverture et Parfaite à l’écran. Il était déjà évident qu’on allait assister à une grande soirée : la cohésion du groupe était parfaite, les envolées maîtrisées et la force de frappe, intacte. Peu après, pendant Pyromane, on a aussi pu savourer la finesse de la sonorisation (de Mathieu Parisien, le sixième Karkwa), notamment en raison de la netteté des chœurs chantés par François Lafontaine, allié vocal indispensable et épatant de Louis-Jean Cormier.

Pendant deux bonnes heures bien compactes, le quintette a fait voyager l’assistance dans son répertoire, puisant dans tous ses disques (sauf Le pensionnat des établis), ressortant autant Moi-léger que Le coup d’état (éclatante, en rappel), mais aussi Échapper au sort, L’épaule froide, et bien d’autres. À bout portant, poussée par une boucle électronique, fut haletante. Gravité a été férocement percussive et on a senti tout au long du concert une liberté et une fébrilité sur scène qui se traduisait par des envolées musicales riches, mais bien circonscrites.

Un poète aux claviers

En solo, Louis-Jean Cormier est devenu un meilleur « frontman ». Pas tant dans ses interventions, encore brouillonnes, mais dans son attitude générale. Et ce, même s’il ne cherche pas à attirer la lumière sur lui. Jeudi, il se fondait au contraire volontiers au groupe lorsqu’il ne chantait pas, indiquant physiquement qu’il n’est qu’un maillon de cette chaîne formée de cinq impeccables musiciens.

Celui qui ressort toujours le plus du lot, il faut le dire, c’est François Lafontaine. Omniprésent même quand il se veut discret, c’est le poète des chansons de Karkwa. Celui qui souligne le sous-texte, celui qui fait jaillir l’émotion en égrenant quelques notes, celui qui fait les solos les plus rock, celui qui peut aussi propulser les morceaux dans la stratosphère, comme ce fut entre autres le cas pendant Le compteur.

Karkwa a 25 ans, a souligné Louis-Jean Cormier, jeudi, avant de préciser avec humour que le groupe n’a « rien fait » pendant la moitié de ce quart de siècle. « On est maintenant les cinq meilleurs amis du monde qui sont là, en vacances, pour le plaisir de jouer des chansons, pour le plaisir de faire de la musique ensemble », a-t-il ajouté. Et la force de ce retour c’est ça : ce groupe n’a plus rien à prouver. Il est au sommet de son art, totalement affranchi de ses influences de jeunesse (Radiohead, évidemment) et totalement décomplexé.

Oui, Louis-Jean Cormier a scrappé en cabotinant la première partie d’Oublie pas, qui aurait dû être touchante. Oui, il a paru brouillon en hésitant dans les paroles de certaines chansons. Oui, au bout de deux heures, on se disait que Karkwa pourrait resserrer certains morceaux qui s’étiraient en frisant la complaisance. Mais ce retour, enluminé d’éclairages expressifs d’une grande beauté, a surtout été grand. Si grand qu’on le regrettera vraiment si Karkwa se tait ensuite à jamais.

Karkwa est au MTelus vendredi, samedi et le 9 décembre. Une supplémentaire a été ajoutée le 23 novembre 2024.