Rafael Payare et l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) ne nous ont qu’à moitié convaincu dans la Turangalîla-Symphonie de Messiaen mardi soir à la Maison symphonique. Décryptage.

Il n’y avait pas foule pour la première présentation post-pandémique de l’œuvre symphonique maîtresse du compositeur français, que l’OSM reprend ce mercredi soir. Le seul nom de la Turangalîla n’évoque probablement pas grand-chose pour le mélomane moyen, beaucoup moins, en tout cas, que telle ou telle symphonie de Beethoven, Tchaïkovski ou Mahler.

Les habitués de l’OSM se rappellent pourtant l’avoir déjà entendue en 2011 et en 2017 avec Kent Nagano, un des plus fins connaisseurs de cette symphonie (de tout Messiaen, en fait) à l’échelle planétaire.

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Musiciens de l’OSM mardi soir, à la Maison symphonique

Au lieu de le faire précéder d’autres œuvres comme son prédécesseur, Payare a choisi de présenter la partition seule, ce qui n’est pas une mauvaise idée étant donné le temps de répétition nécessaire pour peaufiner cette œuvre abyssale, mais aussi pour laisser un peu de chance au public.

Car malgré l’immense qualité de l’œuvre, nul de ceux qui l’ont entendue au concert ne peut cacher qu’il ait vécu un certain sentiment de saturation à un moment ou l’autre des quelque 75 minutes que dure son exécution.

L’empereur Joseph II, qui avait dit à Mozart que son Enlèvement au sérail comportait « vraiment beaucoup de notes », aurait sûrement saigné du nez en entendant la Turangalîla-Symphonie…

La saturation sonore est en particulier causée, dans les fortississimos, par les ondes Martenot (très juste Cécile Lartigau) et les cymbales. On a souvent eu l’impression que la Maison symphonique était peut-être insuffisante pour contenir les déferlements de la symphonie.

Sur le plan de l’interprétation, nous avons assisté à un phénomène occasionnellement observé en concert : celle d’un musicien qui commence d’une manière précautionneuse (il y a de quoi avec cette œuvre casse-gueule !) pour ensuite se laisser davantage aller pour la suite de la soirée.

Cela est particulièrement patent dans le deuxième des dix mouvements, le Chant d’amour 1, dans lequel les contrastes de tempo et de caractère (on passe par exemple par « modéré, lourd », « un peu lent, tendre » et « passionné, un peu vif ») sont passablement laminés. C’est comme si Payare ne goûtait pas suffisamment les passages plus posés et ne s’amusait pas assez dans les épisodes rapides.

Idem dans le Chant d’amour 2 (quatrième mouvement), une sorte de scherzo qui se révèle ici insuffisamment espiègle. À l’opposé, la section « Très modéré, avec amour (passionné, généreux) » reste par trop prosaïque.

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Rafael Payare enchante dans le sixième mouvement.

On s’étonne de cette hésitation à mettre en lumière les multiples reliefs du paysage messianesque, surtout que le chef avait excellé à le faire en septembre dans une œuvre pas si éloignée, le Sacre du printemps de Stravinski.

Mais Payare nous étonne, nous enchante dans le sixième mouvement, « Jardin du sommeil d’amour », où il laisse se dérouler le temps. Après tout, « turanga » signifie, en sanscrit, le temps qui s’écoule…

Et il s’amuse comme jamais dans le Final, qui s’est conclu par un tonnerre d’applaudissements du public qui a accompagné l’OSM dans cette véritable course de fond.

Le pianiste soliste Jean-Yves Thibaudet, qui connaît sa partie comme le fond de sa poche (il l’a notamment enregistrée il y a 30 ans), a excellé tout au long, autant capable d’infinie tendresse que de gonfler ses muscles dans les passages plus athlétiques.

Il reste encore plusieurs places pour vivre cette véritable expérience ce mercredi soir.

Ce mercredi, 19 h 30, à la Maison symphonique

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