Grâce à sa collaboration avec le musicien et réalisateur Éric Goulet, le camelot de L’Itinéraire Siou Deslongchamps a réussi à mettre en musique des chansons écrites pour lui par Clémence DesRochers. Un tour de force pour cet homme aux prises avec un trouble du spectre de l’autisme, qui conclut ainsi un processus créatif né d’une correspondance magique amorcée avec la grande Clémence.

Clémence DesRochers a rencontré Siou Deslongchamps à l’époque où elle était marraine des Impatients, organisme qui vient en aide aux personnes ayant des problèmes de santé mentale par l’entremise de l’expression artistique. C’est à la suite d’une prestation de Siou au cabaret La Tulipe en 2012 qu’elle suggère à celui-ci d’entreprendre une correspondance. L’auteure-compositrice-interprète lui envoie un premier poème, suivi de cinq autres, que Siou met en chanson, dans l’espoir de les chanter sur scène devant son amie.

Annulé à cause de la pandémie, un premier spectacle prévu au Théâtre du Nouveau Monde prendra finalement la forme d’un petit recueil en textes et en images, Clémence et moi, qui a fait l’objet d’un article dans La Presse en mai 2022.

Lisez l’article sur Clémence et moi

Il y a quelques années à peine, Siou en serait probablement resté là. Mais le fait d’avoir pu récemment savoir qu’il vivait avec un trouble du spectre de l’autisme l’a littéralement transformé. « J’étais trop dans ma problématique, ça m’envahissait, alors je n’avais pas moyen de penser à autre chose », nous avoue celui qui croyait être aux prises avec un problème d’anxiété généralisée.

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Siou Deslongchamps

Dans la vingtaine, à l’âge où l’on se projette normalement dans l’avenir, je n’étais pas capable de faire ça, il y avait un mur noir devant moi.

Siou Deslongchamps

Son livre Clémence et moi est déjà un témoignage de sa résilience et de sa persévérance, mais il considérait qu’un bouquin, c’était un peu court comme véhicule pour des chansons.

À partir d’ici, on doit être parfaitement transparent : Siou Deslongchamps a suivi un stage de rédaction à La Presse sous la supervision de l’auteur de ces lignes et nous avons gardé le contact. Il m’a demandé de lui donner un coup de pouce ; un ami nous a présenté Éric Goulet, leader du groupe Les Chiens et réalisateur de nombreux albums, dont certains de Vincent Vallières, de Michel Rivard et d’Amélie Veille. Quelques semaines plus tard, on se retrouvait dans le studio montréalais du musicien, rue Atateken.

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Éric Goulet écoute Siou Deslongchamps.

« Ce sont des projets comme ça qui m’interpellent le plus, reconnaît Éric Goulet, qui fait aussi carrière sous le nom de Monsieur Mono. Parce que ça représente des rencontres. La raison pour laquelle je fais ce métier-là et la façon dont je le fais, c’est pour les rencontres. »

Sans compter qu’il s’agissait d’enregistrer des chansons inédites écrites par Clémence DesRochers. « C’est du matériel doré, du matériel précieux, insiste Éric Goulet. C’est donc génial de se trouver à la conjoncture d’une rencontre comme celle-là et d’avoir la chance d’aider à en faire un tout. »

Boule d’émotion

Les cinq chansons enregistrées en deux jours de studio permettent de découvrir en Siou un excellent mélodiste, couplé à un interprète extrêmement sensible. « L’émotion, ça me vient tout seul, je suis une boule d’émotion, nous dit Siou en riant pendant le lunch. J’avais justement besoin de prendre un peu de recul, la pause me fait du bien. Il ne faut pas que l’émotion soit trop intense, parce que ça pourrait me bloquer. »

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À fleur de peau, Siou nous apparaît manifestement fragile derrière le micro. Une qualité, selon Éric Goulet. « Je suis comme un chasseur-cueilleur, dans le sens que je dois faire le mieux que je peux avec le matériel que j’ai sous la main. Dans ce cas-ci, on a un super matériel avec un interprète qui est un peu plus fragile. Le travail, dans ce temps-là, est de sécuriser l’artiste pour que ce ne soit pas un effort pour lui de faire ça. »

Siou est un bon interprète, estime le réalisateur. « Il a de l’émotion, parfois peut-être trop. Mais tu sais, y a du monde qui tueraient leur mère pour avoir le dixième de cette émotion-là quand ils chantent ! »

« Imagine : il y a 10 ans, quand j’ai commencé à suivre mes séances de musicothérapie, c’était 10 fois plus que ça, ajoute Siou. J’étais tout à l’envers à la fin, j’avais ça dans tout le corps, ça m’envahissait, j’avais besoin de m’exprimer. »

D’autant plus que pour Siou, s’exprimer ainsi est aussi une façon d’entrer en relation avec autrui. « J’avais de la misère à aller vers les autres, admet-il. Puis quand j’ai commencé à faire des choix artistiques, je me suis aperçu que les autres venaient d’abord vers moi, le contact devient plus facile. Souvent, les gens viennent me voir et me disent que ça les a touchés. Moi aussi, ça me fait du bien. »

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Siou Deslongchamps au travail

Un autiste peut avoir beaucoup de capacités, mais il y a des choses qui le bloquent, socialement. Mais si la société s’ouvre à lui, si on comprend mieux ce qu’est l’autisme, on va l’engager, on va voir qu’il est bon, mais on va aménager l’espace pour lui.

Siou Deslongchamps

Des progrès et des projets

S’il a enregistré ses chansons parce qu’il voulait d’abord et avant tout pouvoir les faire écouter à Clémence DesRochers, c’est aussi un nouvel exercice qui s’avère bénéfique pour sa confiance. « Je suis là et je me trouve courageux. Ça a l’air de rien, mais les gens ne savent pas ce que j’ai vécu, nous confie-t-il. Au début, j’avais l’impression de tout oublier les progrès que je faisais. Mais je me suis mis à penser à l’image de la spirale : j’ai beau penser que je tourne en rond, mais je progresse petit à petit. Je vais chercher un petit peu plus chaque fois. »

Les maquettes réalisées avec Éric Goulet pourraient donc servir de carte de visite, Siou s’imaginant très bien donner de petits spectacles pour des organismes caritatifs, par exemple. Tout ça en attendant le prochain projet, car il en a plusieurs en chantier, notamment celui de mettre en musique les textes que lui ont confiés une vingtaine d’artistes qui ont tous en commun de n’avoir jamais écrit de chansons. Des gens rencontrés à L’Itinéraire ou aux Impatients, parmi lesquels des dramaturges, un chorégraphe, un danseur, un metteur en scène, mais aussi le comédien James Hyndman, le batteur Michel Langevin, de Voivod, la chanteuse Danielle Oddera et le regretté peintre graffitiste Zïlon. On promet de vous tenir au courant !