Celebration, le spectacle que Madonna présente deux fois cette semaine au Centre Bell, est bien plus qu’une simple fête qui invite à danser. C’est un ingénieux et parfois touchant voyage dans le temps qui célèbre un parcours artistique à nul autre pareil : celui d’une femme qui, à 65 ans, trouve encore le moyen de surprendre.

On a lu et répété ces derniers jours qu’il faudrait s’armer de patience : depuis décembre, la reine mère de la pop est souvent entrée en scène assez tard. Souvent après 22 h, heure où plusieurs de ses semblables qui se produisent dans des amphithéâtres comme le Centre Bell arrivent au rappel.

Jeudi, Madonna a lancé la fête « tôt » : elle était sur scène à 21 h 50. Elle a fait une entrée impériale, mais assez sobre, en apparaissant seule sur un plateau tournant, vêtue d’une ample robe noire lustrée et coiffée d’un diadème. Elle chantait Nothing Really Matters, une pièce tirée de son album Ray Of Light.

La scène pivotante sur laquelle la vedette est entrée en scène était l’élément central d’un immense dispositif scénique occupant une grande partie du parterre du Centre Bell et qui comptait aussi trois longues passerelles s’avançant loin dans l’enceinte. Cet appareillage scénique promettait une proximité exceptionnelle pour bon nombre de spectateurs situés au parterre et dans les plus basses sections des gradins. Il s’agit d’ailleurs du dispositif scénique le plus imposant que l’auteur de ces lignes ait vu dans cet amphithéâtre en plus de 20 ans de couverture de spectacles.

PHOTO ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Madonna ayant refusé l’accès aux photographes, nous publions des photos prises à son concert du 13 décembre 2023, au Barclays Center de Brooklyn.

Cette scénographie dégageait quelque chose de généreux, qui était de bon augure pour la suite.

Madonna mène la danse

Le début du concert fut réjouissant : Madonna a enchaîné des morceaux dansants venus des années 1980 qui ont vite fait de transformer le Centre Bell en un immense plancher de danse. Elle a entre autres ressorti, pas dans nécessairement dans cet ordre, Everybody (son tout premier simple), Holiday, fait chanter à la foule un bout de Causing a Commotion, repris Open Your Heart et l’irrésistible Into the Groove.

On ne savait déjà plus où poser les yeux, cherchant à suivre Madonna pas à pas, mais aussi à se gaver des numéros chorégraphiés, livrés par au moins deux dizaines de danseuses et danseurs. La vénérable pop star n’a plus la vigueur qu’elle avait toujours à 48 ans, lors du Confessions Tour – elle laisse désormais les acrobaties et les prouesses techniques à ses accompagnateurs – mais c’est tout de même elle qui a mené la danse pendant plus de deux heures.

Madonna a maintenant 65 ans et, jeudi, elle paraissait sans âge au milieu de performeurs beaucoup plus jeunes qu’elle. Son charisme est entier, elle reste la femme conquérante, sensuelle, baveuse et provocante qu’elle a toujours été. Il n’y a qu’une scène où elle paraît moins bien : lorsque, tard dans le spectacle, elle chante Ray Of Light en se déhanchant maladroitement dans une nacelle qui se promène au-dessus de la foule. Ce détail mis à part, la voir chanter, jouer, danser et déplacer de l’air ainsi force le respect.

Des tableaux évocateurs

Madonna l’a annoncé tôt dans la représentation : Celebration raconte une histoire, la sienne. En musique, bien entendu : son programme puise dans 40 ans de chansons marquantes, avec une nette préférence pour ses 25 premières années. Il n’y a presque rien de son disque Like A Virgin, mais elle reprend des hymnes dansants comme Vogue, Like A Prayer, La Isla Bonita et un bout de Hung Up, par exemple, mais peint aussi des tableaux surprenants en ramenant des morceaux plus troubles comme le doublé Erotica et Justify My Love, particulièrement réussi.

Ce spectacle construit en tableaux constitue évidemment un voyage sonore : il y a un monde entre l’électro embryonnaire de Everybody, l’esthétique copier-coller de Don’t Tell Me et la quasi-transe de Ray Of Light. Ces différences sautaient aux oreilles étant donné que, même si bien des morceaux ont été tronqués, la majorité s’appuyait sur les sonorités (et même les pistes ?) originales.

Ici et là, Madonna a osé. Elle a fait Express Yourself seule à la guitare acoustique en milieu de parcours. Plus tôt en soirée, alors que les images projetées sur des écrans géants rappelaient ses débuts new-yorkais et le club emblématique du Lower East Side au tournant des années 1980 – le CBGB’s, associé à la scène punk et new wave – elle a fait Burning Up en version rock à la guitare électrique.

Cette volonté de raconter l’histoire de Madonna traverse aussi la mise en scène du spectacle. Des images d’archives évoquent l’une ou l’autre de ses transformations, des costumes portés par ses danseurs rappellent ses incarnations les plus marquantes et des numéros renvoient directement à des spectacles d’autrefois. L’exemple le plus significatif étant celui où une danseuse, habillée comme Madonna version Blond Ambition Tour, refait la célèbre scène de masturbation.

Celebration se classera assurément parmi les spectacles les plus riches et les plus réussis de la reine de la pop. En plus d’être convaincant sur le plan narratif et musical (malgré une sonorisation parfois inutilement assourdissante et saturée), il témoigne d’une grande finesse sur le plan des effets visuels.

Madonna n’y commet en outre presque aucun faux pas. Elle n’est pas du tout convaincante lorsqu’elle appelle à changer le monde autrement que par la gentillesse, mais se révèle plus d’une fois très touchante, en particulier lorsqu’elle évoque les luttes pour l’égalité menées par les communautés LBGTQ+ et la tragédie du sida. Son interprétation sentie de Live to Tell, accompagnée de photos de victimes de cette terrible épidémie est de loin le moment le plus émouvant du spectacle.

Aussi samedi, 20 h 30, au Centre Bell.