Alexandrine Rodrigue, alias Douance, est très douée pour le doute. Mais qu’elle n’en doute pas, son premier album, Monstre, remplit toutes ses promesses. Rencontre avec une digne héritière du rock des années 1990 et de ses icônes féminines ayant su noyer leurs pensées envahissantes dans la distorsion.

Dans chaque café et chaque bar de chaque ville existe un employé un peu plus vieux que tous ses collègues, qui connaît de la musique que personne d’autre ne connaît. À Saguenay, quand Alexandrine Rodrigue avait 18 ans, ce gars s’appelait Ron, « le seul anglo de Chicout’ », blague-t-elle. « Il me faisait des playlists qu’il me gravait sur des CD. »

Et sur l’une de ces listes se trouvaient des chansons de Julie Doiron, de Liz Phair, de PJ Harvey, Bull in the Heather de Sonic Youth, chantée par la femme la plus cool de la décennie 1990, Kim Gordon. Une constellation de fougueuses artistes féminines ayant en commun d’embrasser avec autant d’abandon leur fragilité que leur colère, l’abrasivité de leurs guitares que les mille nuances de leurs voix. Des musiciennes qui deviendront pour Alexandrine comme des guides vers sa propre vérité.

Extrait de Je ne sais pas
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« La playlist de Ron m’a aidée à faire débloquer plein d’affaires dans ma tête, à réaliser que j’aime quand la musique est faite par des gens qui ne jouent pas parfaitement de leurs instruments », explique-t-elle dans son local de répétition d’Hochelaga-Maisonneuve.

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Alexandrine Rodrigue

Quand j’écoute One Foot in the Grave de Beck, j’aime ça que la guit ne soit pas tight avec le drum. Il y a quelque chose de beau dans l’idée que cette personne accepte de se montrer dans sa vulnérabilité.

Alexandrine Rodrigue

Trouver le courage

Une douzaine d’années plus tard – Alexandrine aura bientôt 30 ans –, la musicienne continue de travailler à « débloquer des affaires », un processus dans lequel elle s’est engagée un peu à reculons en 2019, en s’astreignant à écrire, pour la première fois de sa vie, ses propres chansons. Bien qu’elle joue de la six-cordes depuis l’adolescence, et qu’elle fasse partie de la formation folk Chassepareil, la native de Laterrière n’avait jamais osé la prise de parole personnelle.

« Je fais beaucoup d’anxiété de performance », laisse tomber celle dont le premier album, Monstre, est composé (approximativement) de 50 % de distorsion et de 50 % de questions existentielles aussi insolubles qu’anxiogènes. « Il fallait que je me retrouve au pied du mur. »

Ce mur, c’est son paternel qui le lui présenterait. En février 2019, papa Rodrigue organise à Tadoussac un spectacle de l’icône néo-brunswickoise Julie Doiron. La même Julie Doiron que celle sur le CD gravé par Ron. Et il offre à sa fille d’en assurer la première partie. « Si j’avais dit non, je me serais tellement trouvée poche », se rappelle-t-elle. Il fallait vite se constituer un répertoire.

Et parce que tout ne peut toujours aller aussi mal que dans les catastrophes que nous nous scénarisons, le spectacle se déroulera plutôt bien. Au point où Dany Placard, l’amoureux de Julie, lui proposera de réaliser son EP. EP sur lequel Julie Doiron joue de la batterie. « Je n’en revenais pas. J’ai écrit à Ron pour lui dire. »

Ironie et empowerment

Rares sont les artistes aussi enclins qu’Alexandrine Rodrigue à parler en entrevue de l’irrésolution de leur rapport à leur propre album. « Arrête de te faire du souci/Pour tout et pour rien/Dis-toi que c’est peut-être mieux ainsi/Et si tout chie/Y a sûrement quelque chose qui va pas si mal », chante-t-elle dans Soucis, le plus grand moment d’optimisme de Monstre.

« Ce n’est pas la ligne dont je suis le plus fière », lance-t-elle en riant à propos de la phrase avec le mot qui commence par « ch », pendant qu’on l’assure qu’il s’agit de notre passage préféré de cet album innervé de bout en bout par une tension entre la nécessité absolue de s’exprimer et la crainte de se tromper. « Je pense que je suis encore un peu complexée d’avoir choisi une tournure aussi crue. »

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Alexandrine Rodrigue dans son local de répétition d’Hochelaga-Maisonneuve

Son projet s’appelle Douance, non pas parce qu’elle a elle-même été évaluée par un spécialiste qui lui aurait confirmé qu’elle vit avec un haut potentiel, mais parce qu’elle désirait s’insuffler du courage au moment de naître artistiquement.

« J’ai choisi ce nom-là pour tenter de cesser de ne pas avoir confiance en moi », dit-elle au sujet de ce qui est donc un curieux mélange d’ironie et d’empowerment.

« Parce qu’en réalité, je n’ai jamais trouvé que j’étais très douée. Ce n’est pas vrai que ça fait tout le temps du bien, créer. J’ai souvent peur que le résultat ne soit pas à la hauteur, mais au bout du compte, faire ce que tu as profondément envie de faire, ça vaut toujours la peine, peu importe à quel point le chemin est difficile. »

Extrait de Soucis 

En hommage à Gommette

Coréalisé par Vivianne Roy des Hay Babies – « Je voulais travailler avec une femme, une femme badass » –, Monstre est l’œuvre râpeuse et rêveuse d’une abonnée à l’angoisse, qui tente de museler la petite – et monstrueuse – voix qui lui murmure qu’elle n’a pas ce qu’il faut.

« C’est un album sur le fait de se sentir inadéquat », résume-t-elle en évoquant le chat de la pochette, Gommette, l’animal de compagnie de son enfance, vêtu sur la photo d’une robe de poupée, et visiblement peu ravi d’être ainsi attifé. « C’est aussi un rappel qu’il ne faut pas trop se prendre au sérieux. »

Monstre

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Costume Records