Sona Jobarteh n’est pas qu’une virtuose de la kora, elle est aussi l’une des rares femmes issues d’une famille de griots à qui cet art a été transmis. La revoilà à Montréal ce vendredi après un concert prisé et marquant lors du dernier Festival international Nuits d’Afrique.

La chanteuse et compositrice Sona Jobarteh remontera sur une scène montréalaise le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes. Ce n’est qu’une coïncidence due à son calendrier de tournée très chargé, mais elle a tout de même valeur de symbole puisque la musicienne gambienne est une pionnière dans son domaine : elle est considérée comme la première joueuse professionnelle de kora, instrument historiquement réservé aux hommes.

Bien qu’elle soit consciente de la différence qu’elle représente, Sona Jobarteh ne s’enorgueillit pas de ce titre. « C’est chaque jour la journée de la femme, pour moi », dit-elle. Chacun de ses gestes vise à normaliser les choses, ajoute-t-elle, qu’il s’agisse d’égalité entre les genres, entre les personnes d’origines diverses ou même d’accès à l’éducation.

Ces choses qui, à mon avis, doivent changer, on ne doit pas s’y consacrer juste une fois de temps en temps.

Sona Jobarteh, artiste

« Je m’attends à ce que ça se produise chaque jour. J’y travaille dans l’espoir qu’on parvienne [à cette égalité] un jour et qu’on n’ait plus besoin d’en faire un enjeu. »

Une révélation

Sona Jobarteh est l’une des révélations africaines des dernières années. Son deuxième album, Badinyaa Kumoo, publié à l’automne 2022, lui a d’ailleurs valu un prix Songlines remis au meilleur disque venu d’Afrique et du Moyen-Orient au printemps 2023. Cet honneur est amplement mérité. Son album met en effet de l’avant un habile tissage entre la tradition ouest-africaine et une approche jazzy, où les mélodies scintillantes groovent et les percussions dansent avec éloquence.

Son bagage biculturel n’est pas étranger à sa façon d’aborder la musique : la musicienne et compositrice a passé une grande partie de sa vie entre le pays de sa mère, la Grande-Bretagne, et celui de son père, la Gambie. Elle a aussi été formée à la musique classique occidentale avant de comprendre, à la fin de l’adolescence, qu’elle ne pourrait trouver sa voix qu’en apprenant à maîtriser l’instrument qui l’appelait le plus, la kora, qu’on peut décrire comme un hybride entre le luth et la harpe.

Extrait de Gambia, de Sona Jobarteh
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Ce choix ne relevait pas de l’évidence : dans les familles de griots, caste dépositaire de la tradition orale et musicale dans la culture mandingue, les femmes chantent, mais ne jouent pas d’un instrument de musique. Son père a toutefois accepté de la former, l’incitant à trouver son propre son et son propre chemin. Sona Jobarteh croit fermement que les traditions doivent évoluer pour survivre.

Ainsi, elle se voit moins comme un modèle de femme qui brise des moules que comme une personne qui marche dans les traces de ceux qui l’ont précédée et qui, à son tour, montre la voie à ceux qui viendront après elle. Qui l’élargiront aussi à leur façon. Sona Jobarteh croit en effet beaucoup à la transmission.

Une double vie

Elle mène d’ailleurs une double vie : en plus de sa florissante carrière musicale internationale, elle a fondé une école où la culture (la musique et la danse, notamment) fait partie du curriculum scolaire. Plus encore, elle travaille à développer un programme éducatif affranchi de celui hérité du système colonial qui pourrait essaimer partout sur le continent africain.

« On vient tout juste de lancer la version finale de notre programme d’alphabétisation », souligne la musicienne, tout en admettant que continuer à diriger son école pendant qu’elle est en tournée constitue un défi.

Elle songe d’ailleurs à ralentir les concerts pour être en mesure de passer davantage de temps « sur le terrain » en Gambie.

Sachant qu’elle a laissé passer 11 années entre son premier et son deuxième album, il n’est pas interdit de croire qu’une fois sa tournée actuelle terminée, Sona Jobarteh se fera rare au cours des années à venir. Raison de plus d’aller l’entendre au National où elle se produira avec son groupe au sein duquel on retrouve, ces jours-ci, son fils Sidiki.

« C’est très bien de l’avoir avec moi, se réjouit-elle. Ça me permet de lui transmettre non seulement la musique, mais aussi ce que ça prend pour faire de la tournée, l’éthique de travail et la philosophie derrière ce que nous faisons. »

En concert vendredi, 20 h 30, au National

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