Avant même que Mehdi Ghazi ne pose la main sur le grand Bösendorfer qui l'attendait, Daniel Poulin, qui présentait le très jeune pianiste d'Algérie de 21 ans, et Alain Lefèvre, qui l'avait découvert là-bas, ont tellement répété que nous allions entendre quelque chose d'extraordinaire, de génial, et quoi encore, que nous, pauvres auditeurs, aurions été gênés de penser le contraire.

Il ne nous a fallu que quelques minutes pour nous rendre à l'évidence. MM. Poulin et Lefèvre avaient bien vu - ou plutôt, bien entendu.

Le nouveau venu s'était imposé un programme extrêmement exigeant à tous égards: virtuosité, densité musicale, puissance pianistique, endurance physique. En somme, un programme digne d'un grand pianiste de carrière, centré sur le romantisme germanique.

Bien droit devant son piano, la mèche de cheveux évoquant André Mathieu enfant, Mehdi Ghazi a traversé ces deux heures avec, précisément, l'autorité d'un pianiste aguerri.

Les trois Intermezzi op. 117 de Brahms, qui ouvraient le programme, sont chargés d'une émotion que cache leur apparente simplicité. Cette émotion, le jeune Mehdi l'a communiquée avec un art soutenu qui évoquait Wilhelm Kempff, rien de moins.

Les Études symphoniques de Schumann ont d'abord porté divers titres: Études en forme de variations, Études de caractère orchestral. Ce sont effectivement des variations où le piano est traité en orchestre et le jeune pianiste y réussit précisément une synthèse de tous ces éléments. Déjà, il sait maintenir la pulsation rythmique du commencement à la fin de la septième étude et, dans la suivante, donner un poids égal aux deux mains (la gauche autant que la droite, chose que bien des pianistes oublient!).

Le jeune homme a frappé quelques fausses notes et s'est perdu dans la dernière étude. Il en a paru très affecté. Qu'il se rassure: j'ai autrefois entendu son professeur, André Laplante, faire pire dans des passages beaucoup plus faciles!

Vallée d'Obermann, la sixième (et la plus ambitieuse) des neuf pièces du recueil Suisse des Années de pèlerinage de Liszt, confirme le tempérament romantique de Mehdi Ghazi, qui n'oublie jamais de chanter au milieu des déferlements pianistiques les plus débridés.

Il terminait sur une rareté: la Sonate de jeunesse de Richard Strauss. Les pianistes en ignorent l'existence ou la dédaignent en raison de ses «naïvetés», comme cet obsédant rappel du motif de quatre notes répétées de la Cinquième de Beethoven. L'oeuvre en quatre mouvements a pourtant retenu l'attention d'Alfred Brendel pour l'un de ses tout premiers enregistrements et de Glenn Gould, qui la confia au disque un mois avant sa mort.

Mehdi Ghazi l'a faite en 22 minutes et lui a apporté, comme au reste, le maximum d'engagement. Ovationné par l'auditoire debout, il ajouta -comme un clin d'oeil à ce qui se passait au dehors- Chasse-neige, dernière des 12 Études d'exécution transcendante, de Liszt encore.

Le récital était enregistré pour la radio et pour les besoins d'un DVD.

MEHDI GHAZI, pianiste. Samedi après-midi, Chapelle historique du Bon-Pasteur. Série Révélation Pianos André Bolduc.

Programme:

Intermezzi op. 117 (1892) - Brahms

Études symphoniques op. 13 (1834-35) - Schumann

Vallée d'Obermann, ext. de Années de pèlerinage. Première Année: Suisse, S. 160 (1836-55) - Liszt

Sonate en si mineur, op. 5 (1880-81) - Strauss